Louvicourt, Pascalis, ses ponts couverts et ses routes…

Photo : Roméo Savary (1944). Source : BAnQ, Cote : E6,S7,SS1,P20037

La semaine se termine avec une autre collaboration spéciale de notre ami Gaétan qui signe une nouvelle chronique historique toujours aussi riche et intéressante. Cette fois, on s’intéresse à l’ouverture de la route Senneterre-Mont-Laurier, à l’époque où la colonisation et les mines ont amené beaucoup de nouveaux habitants en Abitibi. Bien sûr, des photos d’archives agrémentent le texte de Gaétan, et nous allons découvrir 2 ponts couverts bien particuliers, lesquels ont été ajoutés au site dans la section des disparus :

Le billet du jour fait un peu suite au texte Nottaway signé par Gaétan en décembre dernier. Comme il représente des heures de travail incalculables pour notre collaborateur, et afin d’apprécier le texte à sa juste valeur, il n’y aura pas d’autre publication avant mardi. Ne manquez pas de cliquer sur la page de chaque pont disparu pour découvrir plusieurs détails et anecdotes. Merci à Gaétan pour la préparation de ce billet…

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Une voie vers le sud, la route Senneterre-Mont-Laurier

L’ingénieur-arpenteur Arthur Lepage a complété le lotissement du canton Senneterre durant l’hiver 1912-13. Les colons arrivent de façon régulière à la station Nottaway et l’arpenteur, qui cumule également les fonctions d’agent des terres et d’inspecteur des chemins, les dirige vers de bons lots. La colonisation bat son plein dans la paroisse Saint-Paul-de-Senneterre, et bien que la rivière Bell soit navigable, les pionniers établis dans tous les recoins du canton réclament des voies d’accès. Vers 1917 une route relie le village au rang 2. 1

Au sud, le canton Pascalis annonce ses couleurs. Une partie du territoire a été lotissé par les arpenteurs en 1919. Deux ans plus tard, on compte seulement quinze lots attribués dans les rangs 8 à 10 circonscrits par les lacs Obaska (Tiblemont), Wabanoni (Pascalis) et la rivière du même nom. Ce canton demeure peu habité durant les années vingt, car la présence de grandes superficies de forêt affermées constitue un obstacle à la colonisation agricole. 2

Le boom minier à la fin de la décennie donnera un coup de pouce au développement du réseau routier dans la région. Durant l’automne 1928, un chemin d’hiver a été tracé dans le canton Pascalis pour relier la station de Senneterre aux claims miniers appartenant à la Obaska Mining Syndicate, dans le canton Louvicourt. Les compagnies minières Treadwell-Yukon, Noranda, Beaufort, entre autres, ont fait transporter de la machinerie lourde et des équipements dans le secteur durant l’hiver. La cohabitation mines et colonisation étant souhaitée par le gouvernement en ce temps de Crise, son ministère de la Colonisation confie à l’ingénieur forestier Frenette en 1931 le mandat de classifier une partie des lots des cantons Pascalis et Louvicourt. Des colons en provenance d’Argenteuil, des Cantons de l’Est, de l’Islet et de Matane s’établissent en 1932 dans le canton Pascalis. Il faudra donc de nouvelles infrastructures routières pour accommoder les colons et les industriels miniers. 3

Le ministère de la Voirie et des Mines entreprend en début d’année 1932 la construction de chemins gravelés dans le canton Pascalis. L’Honorable ministre Joseph-Édouard Perrault est sollicité de toute part dans le comté d’Abitibi. Les budgets dilués dans les nombreux projets s’épuisent rapidement. Le ministre se laisse toutefois convaincre par le député et ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries, Hector Authier de l’urgence de débloquer des fonds pour la construction de la route entre Senneterre et Louvicourt. Les travaux reprennent en juin 1933. Les nouveaux colons établis dans le canton Pascalis y trouvent du travail. Il faudra construire un pont considérable sur la rivière Wabanoni (Pascalis) et le constructeur Médard Boucher de Macamic est la personne toute désignée pour mener à bien cette entreprise. La structure est complétée et ouverte à la circulation en juillet 1934. 4

En octobre 1934, le ministre Perrault descend du train à la gare de Senneterre, accompagné de plusieurs personnes, dont le député Hector Authier, Pierre Gauthier, député du comté de Portneuf, A.-O. Dufresne, directeur du Service des Mines (Québec), J.-Ernest Laforce, publiciste du chemin de fer Canadien National et un nommé Léveillé, rédacteur du Soleil. Le groupe, en provenance d’Amos, est accueilli par le curé Louis Jourdon et le maire Louis Major. Se sont joints à eux, l’ingénieur civil Joseph Dumont et Alfred Roy qui ont fait le trajet en automobile. Tous montent à bord de voitures et empruntent la nouvelle route de gravier pour se rendre au pont de la Pascalis. Ils y sont reçus par Frank Armstrong, président de la compagnie Tiblemont Island Mining, et Victor Clauson, ingénieur de la Treadwell-Yukon. Les visiteurs sont à même de constater l’excellente qualité de la construction. Le pont couvert à deux travées est supporté par une ferme de type Town élaboré d’une longueur totale de 200 pieds. L’inspection officielle du pont faite, on les conduit ensuite en bateau à l’île Tiblemont pour leur faire visiter les toutes nouvelles installations minières, avec pour guides les ingénieurs Jules Labarthe et Ball. Une visite qui ne manquera pas d’impressionner les membres de la délégation. 5

Pont du Half Way (61-01-33) sur la rivière Wabanoni (Pascalis). Photo : C.-R. Laberge, 1945. BAnQ E6,S7,SS1,P18932.

Une technique cinématographique pour identifier une structure. Photo : C.-R. Laberge, 1945. BAnQ E6,S7,SS1,P18931.

Le cahot au dessus du pilier central était redouté. Photo : Lorenzo Gauthier, vers 1948. Collection Société d’Histoire de Val-d’Or.

Un pont couvert typique du début des années 1930. Photo : Lorenzo Gauthier, vers 1948. Collection Société d’Histoire de Val-d’Or.

Soumis à rude épreuve sur une voie aussi achalandée que la route 58 à l’époque, le pont couvert du rang 8, connu sous le vocable « pont du Half Way » en raison de sa situation mitoyenne entre Senneterre et Louvicourt, aura rapidement besoin de soins. En 1947 le ministère des Travaux publics remplace la surface de roulement, ajoute quelques lambourdes, des tirants métalliques et effectue diverses retouches sur le pont. La déflexion des deux travées continue de s’aggraver malgré ces interventions et le pont couvert devra être consolidé à nouveau en 1949 au moyen d’une structure de soutien. Il sera remplacé par un pont permanent en béton-acier en 1956. Cette route, qui fut pavée à cette époque, est devenue la 113 que l‘on connaît. Elle fut le premier tronçon construit de la route inter-régionale entre Senneterre et Mont-Laurier. 6

Après l’abolition des concessions forestières locales, les arpenteurs ont divisé en lots une large part du canton Pascalis et quelques rangs de Louvicourt en 1934 et 1935. De nouveaux territoires étaient alors mis en disponibilité pour les colons et une route fut construite entre le lac Tiblemont et les mines Perron et Bouffard. Le village de Pascalis a été fondé à l’époque, mais il sera complètement rasé par un incendie en 1944 et ne sera jamais reconstruit. 7

Un autre pont couvert fut construit par le ministère de la Voirie et des Mines (61-01-32) durant l’hiver 1933-34, au moment où la route 58 en construction atteignait la rivière Louvicourt. Ce pont était constitué d’une seule travée supportée par des fermes de type Town élaboré d’une longueur totale de 137 pieds. Au lieu des lambris traditionnels en bois, le pont était entièrement recouvert de tôle, une caractéristique peu courante. Un pilier central a été ajouté en 1944 et la structure a été relevée de quelques pieds deux ans plus tard. 8

La barrière nord du parc La Vérendrye était localisée à la sortie du pont couvert (61-01-32). Carte postale, collection Gaétan Forest.

Le pont de la rivière Louvicourt en 1945. Photo : collection Margot Cloutier.

La rivière Louvicourt était aussi connue sous le nom de rivière Endormie. Photo : Philippe-Auguste Dupuis, 1946. BAnQ E6,S7,SS1,P33823.

Des lambris de tôle sur un pont couvert est peu commun. Photo : Philippe-Auguste Dupuis, 1946. BAnQ E6,S7,SS1,P33822.

Passerelles incluses, ce pont mesurait environ 200 pieds de longueur. Photo J.-A. Fournier, 1945. BAnQ E6,S7,SS1,P28808.

À la rivière Louvicourt des camps appartenant au Département de la Voirie servaient à loger les équipes qui travaillaient à la construction de la route Senneterre-Mont-Laurier. Le dimanche 28 juin 1934, durant leur sieste après le repas du midi, les deux gardiens furent brutalement réveillés par le crépitement des flammes qui dévoraient déjà quatre bâtiments, dont le dépôt de provisions et d’ustensiles de l’entrepreneur-fournisseur du Département. Les sapeurs improvisés tentèrent sans succès d’éteindre l’incendie et en désespoir de cause, ils allèrent demander l’aide d’un détachement de garde-feux stationné à quelque treize kilomètres de l’endroit. Au retour, ils ne purent que constater l’ampleur du désastre. Neuf bâtiments avec leur contenu, le moulin à scie et tout le matériel entreposé sur le terrain étaient réduits en cendres et l’élément destructeur s’attaquait maintenant au pont couvert. Les flammes léchaient également un dépôt de dynamite localisé à quelques mètres. Au grand ahurissement des témoins impuissants, il se produisit une formidable explosion dont le déplacement d’air éteignit d’un seul coup les flammes, tout en emportant une partie de la tôle recouvrant la toiture du pont. Une cinquantaine d’acres de forêt furent ravagés autour du site. Le pont était sauf mais il fallait reconstruire le camp. 9

Un camp typique de chantier routier au lac des Loups. Photo : collection Gérald Arbour

La route 58 (117) en construction. Photo : collection Gérald Arbour.

Une crise parlementaire à l’Assemblée nationale amène la démission du Premier ministre Taschereau en juin 1936. Adélard Godbout le remplace mais les élections d’août portent les Unionistes de Maurice Duplessis au pouvoir. Entretemps, les chemins de mines ont obtenu la faveur du Trésor public grâce à une entente fédérale-provinciale qui apporta une aide financière substantielle au budget de la Voirie. Les travaux sur la route Senneterre-Mont-Laurier pouvaient se poursuivre. Toutefois la progression de la route stagne en 1939, le Canada étant en guerre. Les Libéraux d’Adélard Godbout reprennent le pouvoir à l’automne et le député Félix Allard est élu avec une majorité écrasante dans le comté d’Abitibi. La route Senneterre-Mont-Laurier, incluant son embranchement vers Val-d’Or, est inaugurée en août 1940. Le projet conçu par le député Hector Authier 20 ans plus tôt, appuyé par les chambres de commerce locales pour favoriser les gens d’affaires et contrer le chômage durant les années trente, était enfin réalisé. 10

Après quinze ans de loyaux services, le pont couvert de la rivière Louvicourt fut remplacé par une structure en béton-acier en 1949. 11

Alors que la route vers le sud était devenue une réalité, l’attention des Abitibiens et de leurs élus se porterait bientôt vers le nord générateur de richesses naturelles mais encore pauvre en voies de communication.

Gaétan Forest, décembre 2016.

Le réseau routier en 1946 avec la localisation des ponts mentionnés dans le texte. Plan d’arpentage Charles-F. Chartré, 1946. BAnQ G3450,s190,C37,8-E.

Références :

1- carnet et plan d’arpentage du canton Senneterre, Arthur Lepage, 1913, BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PS.112 et PS.32 ; L’Abitibi, 19 février 1920, 2 juin et 11 août 1921, 5 janvier et 6 avril 1922 ; La Gazette du Nord, 22 mars et 7 juin 1923 ; carte dans La région de l’Abitibi, terres à coloniser. Abbé Ivanhoë Caron, 1918 ; le village Nottaway est devenu Senneterre en 1921.

2- L’Abitibi, 5 janvier et 6 avril 1922 ; carte cadastrale Abitibi, Charles Savary, 1932. BAnQ G/3452/T455/1932/Q42 ; plan d’arpentage du canton Pascalis, Clément de Chavigny De La Chevrotière, 1919. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PP.35 ; plan d’arpentage J.-E. Giroux, 1920. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PP.35A ; le lac et la rivière Pascalis étaient appelés Wabanoni par les autochtones, et le lac Tiblemont, Obaska. En 1920 la superficie du canton Pascalis comprenait un grand bloc de 15,000 acres (6070 hectares) appartenant à la succession du seigneur Edmund-Gustave Joly de Lotbinière, 4ième premier ministre du Québec, ainsi que les concessions forestières des compagnies Eagle Lumber et West End Paper.

3- La Gazette du Nord, 2 novembre 1928, 17 juillet 1931, 26 février et 4 mars 1932 ; Chroniques d’Obaska – Chroniques de la Vallée-de-l’Or – Portraits de bâtisseurs. Production Cinémanima inc. ; les colons arrivés en 1932 et 1934 fondèrent Sainte-Marie d’Obaska, à 4 kilomètres au sud du pont du Half Way, un hameau comportant une chapelle (1945), une école, une auberge et quelques maisons. La chapelle a été détruite vers 1986 mais l’auberge est devenue une résidence.

4- La Gazette du Nord, 8 janvier, 8 et 24 juin, 22 juillet, 26 août et 16 septembre 1932, 19 mai, 9 et 30 juin 1933, 8 juin 1934 ; Rapport du ministère de la Voirie, 1934, p. 50 ; Médard Boucher est le grand-père de la comédienne Andrée Boucher : il a construit de nombreux ponts couverts en Abitibi.

5- La Gazette du Nord, 19 et 26 octobre et 2 novembre 1934 ; au moment de la visite officielle d’octobre 1934, Hector Authier était alors président du Conseil Législatif, et Irénée Vautrin lui avait succédé comme ministre de la Colonisation quelques mois plus tôt.

6- Source orale locale ; La Gazette du Nord, 20 juillet 1945 ; rapport du ministère des Travaux publics, 1947, p. 21 ; idem, 1957 ; un chemin de la CIP était toutefois en construction en 1927 entre la Gatineau et le lac Cabonga pour y construire un barrage : La Gazette du Nord, 12 octobre 1928.

7- Plans d’arpentage J.-B. Gaudreau, 1934, et J.-Fernand Fafard, 1935. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PP.35B et PP.35C ; carte Service des arpentages, Chs.-F. Chartré, 1946 BAnQ G3450,s190,C37,8-E : plan sur lequel est délimité le « Bloc A », forêt privée d’Alain Joly de Lotbinière.

8- Rapport du ministère de la Voirie, 1934 ; il ne reste qu’un exemple de pont couvert ayant des lambris en tôle : le pont du lac Ha ! Ha ! de Boilleau (61-17-04).

9- La Gazette du Nord, 1er juin 1934.

10- Idem, 16 septembre 1927, 30 octobre 1931, 27 octobre 1939, 26 avril et 30 août 1940.

11- Idem, 22 avril 1949 ; Rapport général du ministère des Travaux publics, 1949 et 1950.

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