L’histoire des ponts couverts du village de Nottaway

Le billet du jour est une collaboration spéciale de notre ami Gaétan Forest qui a mis des heures à préparer cette riche chronique historique sur Nottaway, ancienne appellation de la ville de Senneterre en Abitibi. Nous avons donc droit à une intéressante page d’histoire de cette belle région du Québec, au temps de la colonisation. Bien sûr, au fil de son texte, Gaétan nous présente des ponts couverts oubliés, lesquels ont tous été ajoutés sur le site dans la section des disparus :

Comme le billet du jour représente une somme de travail colossale, il n’y aura pas d’autre publication avant vendredi, journée où débutera la pause du temps des Fêtes. Ne manquez pas de cliquer sur la page de chaque pont disparu pour découvrir plusieurs détails et anecdotes. Merci à Gaétan pour la préparation de ce billet…

NOTTAWAY

par Gaétan Forest

Le canton Senneterre a été divisé en rangs et en lots par l’ingénieur-arpenteur Arthur Lepage dès l’arrivée du chemin de fer Transcontinental en 1912. À la demande de l‘abbé Ivanhoë Caron, missionnaire-colonisateur, Lepage a établi les limites d’un village près du pont ferroviaire. Par la suite, l’arpenteur Télesphore Simard a jalonné les rues et délimité les terrains. Des industriels, des prospecteurs et plusieurs colons étaient sur les talons des arpenteurs ; déjà on comptait plusieurs constructions sur les rives de la rivière Bell, dont quelques magasins, un hôtel et une scierie. Une gare était en construction. D’abord appelé Nottaway, du nom de la station, ou encore Rivière-Bell, le village adoptera l’appellation du canton en 1921. 1

À l’époque, seul le Transcontinental offrait aux colons le moyen de traverser rapidement l’Abitibi, de la frontière de l’Ontario à la rivière Bell. Le chemin Allard-Devlin, commencé en 1912, et qui devait relier les nouvelles paroisses échelonnées le long du chemin de fer, n’était encore qu’une suite de petits réseaux routiers isolés, certains recouverts de pontages à peine praticables à travers les savanes. Dans le but d’en faire une véritable route régionale, des travaux majeurs sont entrepris en 1922 avec l’approbation du gouvernement libéral Taschereau. Plusieurs ponts de bois font alors leur apparition le long de son parcours. Les travaux se poursuivent l’année suivante pour se terminer en 1924. Cette route, longue de 224 kilomètres, portera le numéro 45, puis 386. 2

À Senneterre on parle abondamment durant l’été 1920 du pont que le ministère de la Colonisation a promis de construire sur la rivière Bell. Le bois est en partie prêt mais des dissensions quant au choix du site retardent le début des travaux. Le conseil municipal est en faveur d’une construction en amont du rapide et de l’île, au sud du chemin de fer, soit près du terrain de l’église tandis que des résidents ayant à leur tête Arthur Lepage font valoir les avantages d’un emplacement sur la rue Principale, près du magasin de la Baie d’Hudson. Le deuxième site, à 200 pieds au nord de la voie ferrée, est finalement accepté et en novembre, Lepage se rend à Québec rencontrer le ministre Joseph-Édouard Perrault pour rendre compte de l’état d’avancement du dossier. Le chantier de construction du pont couvert bourdonne d’activité en mars 1921. Le salaire modeste de trois piastres par jour offert par l’entrepreneur ne rebute pas les chômeurs qui se présentent en si grand nombre que l’on est contraint d’en refuser. Le pont sera supporté par des poutres triangulées de type Town élaboré de 328 pieds de longueur reposant sur 2 culées et 2 piliers composés de cages de bois lambrissées. Son tablier culminera à 20 pieds au-dessus des hautes eaux. Surnommé le « Pont Rouge » (61-01-37) à cause de sa couleur, le pont de colonisation est terminé et ouvert à la circulation à la fin d’avril 1921. Il facilite l’accès à la partie est du canton Senneterre. 3

Le pont Rouge (61-01-37) sur la rivière Bell à Senneterre en avril 1921. Photo : collection Société d’histoire de Senneterre.

Il était fréquent de voir des campements amérindiens établis près du pont en raison de la proximité du magasin principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson, un centre de ravitaillement pour les touristes, les prospecteurs, les chasseurs blancs et autochtones. En aval, une base d’hydravions offre le service de transport aérien vers les régions isolées à partir de 1930. 4

Le pont Rouge, le magasin de la Compagnie de la Baie d’Hudson et les campements amérindiens. Photo : collection Fonds Frakelton-Desjardins, Société d’histoire de Val-d’Or.

En août 1932, un accident impliquant une automobile sur le pont cause des blessures à un piéton distrait qui, à ce qu’on raconte, avait porté toute son attention sur le passage d’une chaloupe sous la structure. 5

Site du pont couvert en aval du chemin de fer. Plan cadastral par Lucien Castonguay, 1937. BAnQ E21, S555,SS1,SSS23,PS3C.

Le pont Rouge, vu du côté est. Photo : C.-R. Laberge, 1945. BAnQ E6,S7,SS1,P40111.

En 1945 le pont couvert présentait des signes de faiblesse. Des supports auxiliaires furent placés sous la structure près des piliers. L’année suivante le ministère des Travaux publics terminait la construction d’un pont routier en béton-acier en amont du pont du Canadien National, dans le prolongement d’une nouvelle rue tracée sur un terrain désaffecté de la scierie Eagle Lumber. L’industrie minière étant alors en plein développement dans la région, le ministère des Mines a fourni une contribution financière de 25,000$ pour la réalisation du projet. Après 25 ans de service, le vieux pont de bois a été démoli et le site est retourné à la nature. 6

À l’extérieur de la ville, sur la route 386 en direction de Belcourt, se trouvait le pont couvert Taschereau (61-01-39) qui enjambait la rivière des Peupliers. Il fut construit vers 1927-28. Son nom honorait le premier ministre de la province à l’époque. La circulation lourde et les débordements réguliers d’une rivière sournoise malmenèrent considérablement cette structure. Un matin du printemps 1948, les résidents du secteur retrouvaient le pont échoué à quelques centaines de mètres en aval. Tracteur, camion, treuil et câbles furent utilisés par l’entrepreneur Louis Guillemette pour ramener le pont à son emplacement initial avant le retour du niveau de l’eau à la normale. Ébranlé, déclaré « très dangereux » en 1950, le pont couvert fut consolidé tant bien que mal en attendant sa démolition en 1958. Lors de la construction du nouveau pont en béton, on profita de l’occasion pour adoucir le méandre de la rivière des Peupliers afin de faciliter l’écoulement des eaux. 7

Pont Taschereau (61-01-39), sur la rivière des Peupliers, canton Senneterre. Photo : Robert Sauvage, 1947. BAnQ E6,S7,SS1,P60514.

Le Pont Taschereau sur ses derniers milles. Photo : Lorenzo-H. Gauthier, 1956. Collection Société d’histoire de Val-d’Or.

Au nord de Senneterre, un chemin long de dix kilomètres construit en 1921 sur la rive ouest de la rivière Bell permettait d’atteindre le quatrième rang du canton Montgay, qui avait été divisé en lots de colonisation sept ans plus tôt. La construction du chemin a favorisé l’implantation sur ce territoire de vétérans de la première grande guerre. D’autres colons viendront les rejoindre plus tard. Cette route, qui a d’abord porté le numéro 58, est devenue la 113. À trois kilomètres au nord des limites de la ville se trouvait un pont de bois qui aurait été construit au-dessus du ruisseau Lemoyne. On ne manquera pas de rappeler au député d’Abitibi Émile Lesage, en visite à Senneterre en mai 1938, le besoin de réparations de cette structure ainsi que celui du village. Un rappel qui pourrait être à l’origine de la construction du pont couvert mi-hauteur (61-01-P3) à la même époque. Ce pont a été démoli lors de la relocalisation de la route au printemps 1965. 8

Pont sur le ruisseau Lemoyne, canton Senneterre (61-01-P3). Photo : 1957. BAnQ 08Y,E23,S1.

Un chemin de colonisation construit vers 1917 longeait la rive ouest de la rivière Bell et reliait Nottaway au rang 2 du canton Senneterre, à la décharge du lac Obaska (Tiblemont). Amélioré en 1933, ce chemin est devenu la route 58, puis la 113 actuelle. À la limite sud de la ville, sur la rivière des Peupliers, une structure de bois primitive a été remplacée en 1939 par un pont découvert de type Howe mi-hauteur d’une longueur de 150 pieds. Ce dernier s’est écroulé en 1949, tout juste après le passage d’un camion et il a été remplacé par un pont en béton l’année suivante. 9

Le pont de la rivière des Peupliers sur la route 113 à Senneterre. Photo : C.-R. Laberge, 1945. BAnQ E6,S7,SS1,P18933.

À la fin des années 1920, le réseau routier dans le canton Senneterre était achevé mais résolument orienté vers l’ouest, avec comme seule issue la route régionale construite à peu de distance du chemin de fer Canadien National. Les chemins vers le sud, le nord et l’est ne permettaient l’accès qu’aux cantons limitrophes. Le train demeurait le moyen de transport privilégié à l’époque. Mais le développement minier durant la décennie 1930-40 apportera beaucoup d’améliorations routières dans l’est de l’Abitibi et surtout, il offrira une voie de sortie vers le sud.

Gaétan Forest, décembre 2016.

Le réseau routier local en 1932 avec la localisation des ponts mentionnés dans le texte. Plan d’arpentage par Charles Savary. BAnQ G/3452/T455/1932/Q42.

Références :

  1. L’emplacement d’un pont ferroviaire sur la rivière Bell est indiqué sur les plans du canton Senneterre et du village Nottaway tracés par Arthur Lepage (1913) et Télesphore Simard (1914). Les rails de l’Est et de l’Ouest se rencontrèrent à la rivière Mégiscane le 17 novembre 1913 et le train inaugural a circulé à Senneterre le 29 avril 1914 ; Le Bien Public, 9 novembre 1911 ; Le pont du chemin de fer, Pierre Laliberté, mai 2012. Société d’histoire d’Amos ; carnet et plan d’arpentage Arthur Lepage, 1913, BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PS.112 et PS.32 ; carnet avec plan d’arpentage Télesphore Simard, 1912. BAnQ E21,S60,SS3,PS.51 ; 100 ans d’histoire racontée à bord du train de Senneterre, 26 mai 2014. Ici-Radio-Canada.ca.
  2. L’Abitibi, 19 février 1920 ; La Gazette du Nord, 22 mars 1923, 16 octobre 1924, 20 novembre 1925, 9 juillet 1926, 25 juin 1937, 9 mai 1947 ; Une ville d’Abitibi : Senneterre, Pierre Biays, Cahiers de Géographie du Québec, vol. 2, no 3, 1957, p.63-64.
  3. L’Abitibi, 12 août, 7 octobre et 25 novembre 1920, 17 mars, 21 et 28 avril, 4 août 1921.
  4. Une base pour les hydravions des compagnies Continental Aero, Prospectors Airways et plus tard Air Fecteau ; La Gazette du Nord, 4 avril et 26 juin 1930.
  5. La Gazette du Nord, 26 août 1932.
  6. Idem, 20 juillet et 21 septembre 1945 ; Rapport général du ministère des Travaux publics, années 1946 et 1947. …….
  7. Source orale locale ; La Gazette du Nord, 30 mars 1950 ; photos aériennes Ministère des Terres et Forêts.
  8. Plan Gustave Rinfret, Département de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, 1912. BAnQ G/3452/T455/1912/Q421 CAR ; plan d’arpentage du canton Montgay, Arthur Lepage, 1924. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PM.40B ; La Gazette du Nord, 22 juin 1922, 13 mai 1938 ; Rapport du ministère des Travaux publics, 1965-1966.
  9. Carte 1917, dans La Région de l’Abitibi, par l’abbé Ivanhoë Caron, 1918 ; La Gazette du Nord, 18 août 1949, 30 mars 1950.

2 réflexions sur « L’histoire des ponts couverts du village de Nottaway »

  1. Raymonde Proulx

    Bonjour Pascal,
    Je me suis régalée par l’article de Gaétan Forest postée en décembre 2016. Une chronique soignée et bien intéressante à lire. Félicitations à monsieur Forest !
    Les photos sont superbes et j’imagine que vous avez travaillé fort pour inclure cette chronique dans votre blogue. Merci…
    Passez une belle année 2017 !
    Raymonde Proulx

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    1. Pascal Auteur de l’article

      Bonjour madame Proulx, je suis tout à fait d’accord avec vous, la chronique sur Nottaway était fascinante et très complète. Je suis heureux d’apprendre que vous l’avez appréciée, et Gaétan sera lui aussi ravi de lire vos bons mots. Petit scoop, je vous annonce que Gaétan travaille déjà à la rédaction d’un autre article pour 2017. Merci de visiter le site sur les ponts couverts et bonne année 2017!

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