Le dernier billet du mois de février se termine avec une très belle surprise, soit un article tout chaud signé Gaétan Forest. Notre précieux collaborateur nous ramène au Lac-Saint-Jean à l’époque où l’ouverture de nouvelles routes devenait un besoin pressant. Rappelons que tous les articles précédents peuvent être consultés sur la page Histoires de ponts. Un gros merci à Gaétan qui a passé un nombre d’heures incalculable à éplucher différentes bases de données pour y puiser les renseignements historiques ayant servi à la rédaction de cet article. Le blogue prend une petite pause pour la semaine de relâche. On se retrouve donc au mois de mars. Bon congé!
Retour à Mistassini
par Gaétan Forest
La colonisation de la partie nord du Lac Saint-Jean avait été poussée avec entrain durant la dernière décennie du dix-neuvième siècle. La route entre Saint-Félicien et Mistassini était de plus en plus fréquentée et les bateaux à vapeur remontaient maintenant la rivière Mistassini sur une distance de 40 kilomètres à partir de son embouchure, assurant les communications régulières entre Roberval et les cantons Dolbeau, Pelletier, Dalmas et Taillon (voir l’article Du pont Michel-Louis au pont Price). La population de ces cantons avait presque doublé entre 1896 et 1898. Péribonka, la paroisse voisine de Mistassini, était aussi desservie par le service régulier du bateau à vapeur Le Colon qui accostait à l’embouchure de la rivière Péribonka. Mais il restait encore beaucoup de travail à accomplir pour combler le manque criant de voies de communication terrestre entre les deux villages.
Le père Macaire Rioux et ses collègues Trappistes accueillaient avec joie Joseph-Narcisse Gastonguay à leur humble monastère en février 1898. L’ingénieur du ministère de la Colonisation et des Mines venait faire l’étude d’un projet de chemin devant relier Mistassini à Péribonka. À la même occasion, il choisissait l’emplacement d’un pont à construire sur la rivière aux Foins (Mistassibi), près du monastère. L’ingénieur estimait à 3000$ le coût de construction du pont. Fort impliqués dans le dossier des chemins de colonisation dans le canton, les Pères Trappistes furent chargés de la conduite des travaux du chemin de Mistassini à la Petite rivière Péribonka, tandis que le pionnier de Péribonka Édouard Niquette dirigea les travaux à partir de la rivière jusqu’au village de Péribonka tout en terminant le pont commencé l’année précédente sur la rivière Moreau, près du village. Le chemin en question, d’une longueur de 30 kilomètres à travers les cantons Dolbeau et Dalmas, fut complété l’été suivant à la grande satisfaction du père Rioux, l’agent de colonisation attitré par le gouvernement dans la région. 1
Les travaux du pont sur la Mistassibi débutèrent en novembre 1898. L’ingénieur Gastonguay fit appel au charpentier Georges Barrette pour mener à bien cette construction. Après le projet de reconstruction du pont sur la rivière Métabetchouane (voir l’article Le pont de l’Épouvante) cinq mois plus tôt, l’infatigable charpentier de Saint-Raymond avait voyagé de chantiers en chantiers, allant du lac Nominingue à la rivière Batiscan dans Portneuf, puis à Petit-Saguenay, en passant par le lac Mégantic. Il arriva à Mistassini le 21 novembre et se mit aussitôt à l’œuvre pour superviser la construction d’un pont en bois couvert en bardeaux (61-60-32). L’ouvrage fut achevé durant l’hiver 1898-1899. La travée principale était constituée d’une charpente à treillis de type Town intermédiaire d’une longueur de 55,2 mètres munie de pièces verticales espacées de 12 pieds. Les lambris étaient ajourés d’une seule ouverture latérale située au sommet de la poutre. C’était le modèle standard construit à l’époque par le ministère de la Colonisation. Des avant-ponts reposant sur des chevalets portaient la longueur totale de l’ensemble à 162 mètres.
Le père Macaire Rioux écrivait le 23 novembre 1898 dans son rapport à l’honorable Adélard Turgeon, ministre de la Colonisation et des Mines, Québec, que le nouveau pont en voie de construction sur la rivière Mistassibi « avec celui qui devra se construire sur la petite Péribonka, sera le complément du chemin de Péribonka, et ouvrira un passage facile à tous les habitants tant du côté de Péribonka que de celui de Mistassini. Ce pont aura certainement pour effet d’accélérer encore le mouvement de la colonisation tant d’un côté que de l’autre, en faisant disparaître l’obstacle, si ennuyeux, de la traverse au bac, laquelle devient impossible pendant un certain temps, le printemps et l’automne, et est de plus, très souvent dangereuse. » 2
À la fermeture du chantier de construction en mars 1899, le charpentier Georges Barrette laissa aux Pères Trappistes trois quarts (barils) de peinture dont deux quarts serviraient à peinturer le pont couvert sur la rivière Mistassibi. L’autre quart était destiné au pont qui était projeté sur la rivière Petite Péribonka, entre le 2e rang du canton Dolbeau et le 5e rang du canton Dalmas. 3
Par la suite, Barrette se rendit à Saint-Ludger, en Beauce, pour faire quelques ajustages au pont couvert sur la rivière Chaudière (61-22-14) puis se dirigea vers l’Outaouais pour faire des réparations aux culées d’un pont de fer sur la rivière des Outaouais entre Bryson et l’île Calumet. Il se rendit ensuite dans les Laurentides et se consacra à la reconstruction du pont sur la rivière Rouge, à la Chute aux Iroquois (Labelle, 61-33-32). Ce chantier achevé, Barrette se dirigea vers Saint-Jovite pour construire le pont couvert Champagne (61-72-08) sur la rivière du Diable, aux confins du canton De Salaberry. Malheureusement, le jeune père de quatre enfants y fut victime d’une chute fatale le 30 septembre 1900. Il ne revint donc pas au Lac Saint-Jean et ainsi, le projet du pont sur la Petite rivière Péribonka a été confié à quelqu’un d’autre. 4
Le site de la première chute sur la Petite rivière Péribonka était appelé à connaître une effervescence durant les années suivantes. En 1900, l’arpenteur Thomas Du Tremblay, Pierre-A. Potvin et d’autres investisseurs formèrent la Compagnie de Pulpe de Péribonka. L’entreprise fit l’acquisition d’un lot sur les rives de la Petite rivière Péribonka, précisément où se trouvait la chute. Ces cascades formaient un pouvoir d’eau propice à l’établissement d’une pulperie, un projet qui fut réalisé en 1900-01, sous la direction de Thomas Du Tremblay qui avait la chance de pouvoir profiter de l’expertise de l’industriel Benjamin-Alexandre Scott, de Roberval. L’usine fut inaugurée en septembre 1901 par l’honorable Lomer Gouin, Premier ministre du Québec. Une scierie s’ajouta aux installations et une chapelle fut construite. Ainsi naissait le hameau industriel de Petit-Paris. 5
Les constructions se bousculaient autour de la chute de la Petite Péribonka. D’abord le pont de bois du ministère de la Colonisation qui était en voie d’être complété. En l’absence de Georges Barrette, la supervision des travaux avait été confiée à Georges Nadeau, contremaître du Département de la Colonisation et des Travaux publics. Le pont sera mis en service en 1901. Il s’agissait d’une structure à deux travées mi-hauteur lambrissées (61-60-P4). Toutefois, Georges Nadeau craignait que la proximité de l’écluse ne compromette la sécurité du pont. Il le fit donc relever de quelques pieds avec l’aide de Joseph Savard. En 1902, Célestin Morin a peinturé la structure pour la somme de 33$. 6
Suite à une requête présentée en décembre 1902 par de nombreux habitants représentés par l’arpenteur Thomas du Tremblay, le conseil de comté érigea en municipalité le territoire entourant la manufacture. Le petit village prendra en 1903 le nom de Saint-Amédée-de-Péribonka. Malheureusement le moulin à scie et l’usine de pulpe furent rasés par un incendie en 1907. Mais le tout fut reconstruit l’année suivante et la compagnie se reconstitua sous le vocable de Compagnie de Pulpe de Dalmas. La pulpe et le bois de sciage produits dans les usines étaient expédiés à Roberval sur des chalands remorqués par le vapeur Roberval. La prospérité retrouvée du Petit-Paris encouragea la colonisation du canton Dalmas. La paroisse comptait une population de 325 âmes en 1909. La pulperie fermera ses portes en 1925 et l’usine et le village seront démantelés. 7
En 1900, le Département de la Colonisation a entrepris la construction d’un pont de bois au premier rapide sur la rivière aux Rats, sur le lot 60, rangs 2-3, canton Pelletier, à 1 kilomètre au nord du Village des Pères Trappistes. Il s’agissait d’un pont à deux travées mi-hauteur lambrissées (61-60-P9). Le chaland d’un dénommé François Gauthier a été mis à contribution durant les travaux et J.-Arthur Perron a achevé le pont en 1901. Les Pères Trappistes étaient responsables de la peinture du pont et en ont réclamé le remboursement de 32$ au Ministère. 8
La rivière aux Foins (Mistassibi), près du monastère des Trappistes, était reconnue pour ses sautes d’humeur au printemps alors que le dégel augmentait considérablement le débit de ce grand cours d’eau. Et particulièrement en mai 1928, alors que tout le bassin du lac Saint-Jean fut affecté par une crue hors de l’ordinaire. Fort heureusement, le pont couvert construit par Georges Barrette résista à l’assaut des vagues qui léchaient le bas de ses lambris.
Mais un autre élément aura raison de la structure. Un incendie détruisit la travée principale durant la nuit du 14 au 15 mars 1932. D’importantes réparations devaient être effectuées au printemps. La travée détruite fut remplacée en avril sous l’habile direction des ingénieurs du Département des Travaux publics et de Narcisse Nadeau, originaire de Normandin. Il s’agissait d’une structure couverte de type Town élaboré (61-60-33). La voie charretière de l’abord sud, d’une longueur de 55 mètres, était supportée par une suite de chevalets reposant sur des affleurements rocheux. 9
Le mauvais sort continua de s’acharner sur ce passage sur la rivière Mistassibi lorsque le deuxième pont couvert fut consumé en une quinzaine de minutes par un incendie durant l’après-midi du 26 juillet 1942. Le feu ayant pris dans un pilier, on soupçonna un incendie criminel. D’autant plus que des témoins affirmaient avoir vu un individu louche dans les parages du pont le lendemain de l’incendie. La Compagnie Price avait effectué des réparations importantes d’une valeur de 1631$ au pont en décembre 1941. Pour maintenir le passage après l’incendie, la Compagnie a ouvert un service de bac sur la rivière. Le ministère des Travaux publics commença les travaux de construction des culées en béton durant l’automne 1942 et le montage de la nouvelle charpente en acier fut terminé au cours de l’hiver 1943. La superstructure de 58,5 mètres de longueur provenait de l’ancien pont du ruisseau Chambéry, à Vaudreuil, qui avait été démontée et transportée sur un fardier jusqu’à Mistassini. Le pont a été livré au trafic dès les premiers jours d’avril 1943. 10
Le pont de bois sur la Petite rivière Péribonka a été remplacé en 1913 par une structure métallique située à une centaine de mètres en amont sur le nouveau tracé de la route Péribonka-Mistassini (actuelle route 169).
Le pont de bois mi-hauteur sur la rivière aux Rats a été remplacé en 1925 par un pont couvert à une seule travée de type Town élaboré d’une longueur de plus de 61 mètres (61-60-13). Le pont reçut le nom de « pont Moreau » en l’honneur du député libéral Émile Moreau. Ce pont couvert faillit être emporté par les crues de 1947 et de 1960. Il fit place à une nouvelle structure en béton-acier en 1966.
Une carte de la région du lac Saint-Jean dessinée par Rosario Genest montre que le chemin de ceinture du lac était presque bouclé en 1901. Joseph Bureau, Joseph-Narcisse Gastonguay, Georges Barrette, Georges Nadeau, les Pères Trappistes et Édouard Niquette, leurs équipes de travailleurs, tous avaient grandement contribué à améliorer les communications au nord du lac, de Saint-Félicien à l’île d’Alma. Mais il manquait un pont pour remplacer le bac sur la Grande rivière Péribonka à Sainte-Monique-de-Honfleur pour atteindre Saint-Henri-de-Taillon. On planifiait d’en construire un dès le printemps 1899. Mais il faudra attendre 25 ans pour compléter ce lien. Le pont métallique sera achevé en 1924 et inauguré le 20 juillet 1925. 11
Gaétan Forest, février 2020
1- L’Ordre de Cîteaux et son établissement dans la province de Québec, depuis la Révolution française jusqu’à 1935. (Thèse) André Côté, Université Laval, novembre 1971, pp. 123-124.
2- Rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de Québec, 1898, pp. 158 à 163 ; La Colonisation du lac Saint-Jean, dans le journal Le Protecteur du Saguenay, 21 décembre 1898.
3- Rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de Québec, 1899, pp. 136 à 141.
4- Idem ; Rapport Général du Ministère de la Colonisation et des Travaux publics, 1900-1901 ; idem, 1901-02.
5- Le Progrès du Saguenay, 17 novembre 1898.
6- Le Protecteur du Saguenay, 26 novembre 1898 ; Rapport Général du Ministère de la Colonisation et des Travaux publics, 1901-02 ; idem, 1902-03.
7- La Défense, 25 décembre 1902; Saint-Amédée, dans le journal Le Lac-Saint-Jean, 18 décembre 1902; L’Action sociale, 17 février 1908.
8- Le Progrès du Saguenay, 14 juillet 1898 ; Rapport Général du Ministère de la Colonisation et des Travaux publics, 1901-02.
9- Le Progrès du Saguenay, 21 mars 1932; Le Colon, 7 avril 1932.
10- Le pont de Mistassini détruit par un incendie, dans le journal Le Colon, 30 juillet 1942 ; Rapport de la Sûreté Provinciale du Québec, 3 août 1942 ; Rapport général du ministère des Travaux publics, 1943.
11- Carte de la région du lac Saint-Jean, PQ, Département de la Colonisation et des Travaux publics, Rosario Genest, 1901, BAnQ ; Travaux publics dans notre région, dans le journal Le Protecteur du Saguenay, 26 novembre 1898 ; Le Canton Dalmas, dans le journal Le Lac Saint-Jean, 13 avril 1905 ; La Colonisation au Lac Saint-Jean, dans le journal Le Lac Saint-Jean, 10 octobre 1907 ; Chutes Péribonka, dans le journal Le Lac Saint-Jean,5 décembre 1907 ; Bénédiction du pont de la Grande-Péribonka, dans le journal Le Colon, 16 juillet 1925.