La signature de l’ingénieur

Photo : William Maxant, 24 juillet 1940.

Notre ami Gaétan n’a pas chômé depuis la parution de Par-delà les monts, un article publié il y a deux mois. Juste au moment où le blogue prendra une petite pause pour les vacances estivales, Gaétan revient en force avec un nouvel article qui l’a tenu occupé pendant plusieurs semaines. Nous nous dirigeons cette fois dans le Canton Dumas, au Saguenay, où en plus de découvrir des ponts couverts bien particuliers, nous pourrons renouer avec quelques personnages célèbres rencontrés précédemment dans d’autres articles, dont Georges Barrette et Joseph-Narcisse Gastonguay. D’ailleurs, tous ces articles peuvent être consultés sur la page Histoires de ponts. J’aimerais remercier chaleureusement Gaétan pour sa précieuse collaboration au blogue, ainsi que pour le privilège qu’il nous accorde en nous permettant de publier ses textes. Bonnes vacances et à très bientôt!

La signature de l’ingénieur

Le canton Dumas était un territoire de chasse et de pêche fréquenté par les peuples autochtones qui « cabanaient » (avaient leurs campements) dans la vallée de la rivière Petit-Saguenay qu’ils appelaient Chwutsèocibu (rivière de Feu). La Compagnie de la Baie d’Hudson se livrait aussi à la pêche au saumon et à la traite des fourrures avec les autochtones de la région. En avril 1838, une goélette affrétée à La Malbaie par Thomas Simard pour le compte de la Société des Vingt-et-un accosta d’abord à l’Anse des Petites-Îles, puis à l’Anse au Cheval. La Société laissa à chacune de ces anses une poignée d’ouvriers et de bûcherons avec pour mandat la construction d’une scierie. L’occupation du territoire par les Charlevoisiens se fit d’abord dans le but d’exploiter les ressources forestières, en particulier les billots de pin blanc et de pin rouge. D’autres scieries seront construites par François Guay à l’Anse St-Étienne et à l’Anse de Petit-Saguenay en 1844. L’industriel forestier William Price s’en portera acquéreur, fera agrandir les moulins et construire un barrage ainsi qu’une dalle et des estacades sur la rivière Petit-Saguenay. Le poste de Petit-Saguenay deviendra alors le centre administratif de la compagnie sous la direction de son fils, David Edward Price. 1

Les débuts de la colonisation du canton Dumas

La première colonie de Petit-Saguenay se composait d’ouvriers du moulin des Price situé près de l’embouchure. Parmi eux Joseph Nicolas, Joseph Moreau, Prudent Joncas et Charles Bernier, des chefs de famille métis qui habitaient près de la rivière Cabanage. Mais la forêt de pins s’épuisa rapidement et le moulin cessa ses activités durant l’hiver 1857-58, ne laissant sur place que deux familles. Puis les pionniers Tiburce Bergeron, Job Tremblay, Hippolyte Tremblay, Charles Girard et Paul Gagné, originaires de Charlevoix, vinrent défricher des terres dans la colonie agricole naissante. En 1861 on recensait tout au plus 28 personnes dans le premier noyau villageois. L’arpentage et la proclamation officielle du canton Dumas en 1877 a ouvert la voie à la colonisation des terres le long de la vallée de la rivière Petit-Saguenay et sur les hauteurs. 2

Construction d’un réseau de chemins

Le territoire de Petit-Saguenay faisait partie de la paroisse de L’Anse-Saint-Jean à l’époque. La mission portait le vocable de St-François-d’Assise. Une quarantaine de familles s’établirent dans le canton Dumas durant la dernière décennie du dix-neuvième siècle : un groupe à la rivière Petit-Saguenay, un autre à l’Anse St-Étienne, et d’autres à l’Anse au Cheval et à l’Anse des Petites-Îles. En 1882 la Compagnie Price décida de construire un village de compagnie à St-Étienne-de-Saguenay, le premier du genre dans la région. Afin de relier ces petites communautés ouvrières, la compagnie fit construire dès 1885 un chemin d’hiver entre son moulin à scie de la Rivière-aux-Canards, au canton Saguenay, et celui de L’Anse St-Étienne. Un peu plus tard, Price prolongea ce chemin jusqu’à Petit-Saguenay. Ce nouveau tracé sillonnait les plateaux entre les rangs I et II Saguenay, traversait la terre de Patrice Fortin et aboutissait à la rivière Petit-Saguenay, en face de la chapelle de la mission St-François-d’Assise. Il s’agissait d’un chemin de colonisation relié au « chemin Maritime » qui permettait de communiquer avec Charlevoix. Mais il semble alors y avoir absence de pont permanent pour franchir la rivière au village de Petit-Saguenay. Vers 1892 le Département de la Colonisation et des Mines posa les jalons d’une voie alternative appelée le « chemin de St-Étienne » qui remontait le cours du ruisseau du lac-des-Îles pour rejoindre la tête du ruisseau St-Étienne et suivre son cours en descendant vers l’anse du même nom. En 1897-98 le DCM en fit un chemin carrossable en toutes saisons allant de L’Anse St-Jean à L’Anse St-Étienne, moyennant un octroi de 1400$ sous la conduite de Benjamin Boudreault. L’année suivante le DCM prépara les plans d’un pont à construire sur la rivière Petit-Saguenay. 3

Le canton Dumas et ses premiers chemins. Plan William Tremblay, 31 août 1892, BAnQ.

Un premier pont sur la rivière Petit-Saguenay

Avant de se rendre au nord du lac Saint-Jean, le 21 novembre 1898, pour construire un pont couvert sur la rivière Mistassibi, entre les cantons Pelletier et Dolbeau (voir article Retour à Mistassini, pont 61-60-32), le charpentier-menuisier Georges Barrette, du Département de la Colonisation et des Mines, était allé faire l’inspection des travaux de construction d’un pont au Petit-Saguenay, sur le lot No 1 du rang Ouest, canton Dumas, dans le comté de Chicoutimi. Voici le libellé de son rapport soumis au commissaire du département, l’honorable Adélard Turgeon :

Québec, 20 octobre 1898.

Monsieur le Ministre,

     Le 17 du courant, j’ai reçu instruction d’aller inspecter les travaux du pont commencé sur la rivière Petit Saguenay, à l’Anse St-Jean, dans le comté de Chicoutimi, par M. Zéphirin Desgagné. Je me suis rendu sur les lieux et j’ai l’honneur de vous faire le rapport suivant : deux piliers et une culée sont terminés et faits d’une manière satisfaisante pour recevoir la superstructure. Ces travaux ont coûté 200$ et valent ce montant.

     Il reste à faire une culée et la superstructure du pont qui aura une longueur pour la grande travée de 95 pieds et les deux autres petites de 25 pieds chacune, entre les piliers.

     J’estime qu’une somme de 700$, à la condition que les intéressés fournissent gratuitement tout le bois et rendent au moulin celui qui doit être préparé, est suffisante pour payer le sciage du dit bois, acheter le fer, construire la dernière culée, bâtir le pont, le couvrir, le lambrisser et le peinturer.

J’ai l’honneur d’être,

     Monsieur le Ministre,

          Votre obéissant serviteur,

               Georges Barrette.

Georges Barrette est revenu dans le canton Dumas après le 1er juillet 1899 pour superviser la construction du pont couvert de la rivière Petit-Saguenay (61-17-13). Le pont fut érigé par Zéphirin Desgagné et son équipe d’ouvriers sur les terres de Joseph Girard, fils d’Octave. Il coûta la somme de 1034.42$ au gouvernement. À ce montant s’ajoutait une contribution locale évaluée à 300$, incluant la valeur des matériaux. Le bois du pont a probablement été scié au moulin d’Hippolyte Tremblay situé à l’embouchure de la rivière Cabanage, à 1 kilomètre en aval. Ayant reçu de nouvelles instructions par dépêche télégraphique de la part de ses supérieurs, Barrette se rendit à Baie-Ste-Catherine, dans le comté de Saguenay, pour faire l’inspection d’un pont de bois sur la rivière aux Canards qui semblait en arracher. Ainsi continuait le périple du vaillant charpentier. 4

Vue vers l’amont du pont sur la rivière Petit-Saguenay (61-17-13) en 1942. Photo : BAnQ E57,S44,SS1,PB54-83.

La construction de chemins et de ponts favorisa l’ouverture du territoire à la colonisation et améliora sensiblement les communications entre les communautés de Petit-Saguenay et de L’Anse St-Étienne qui venaient tout juste d’obtenir l’usage d’une ligne télégraphique. 5 Le village de compagnie de St-Étienne-du-Saguenay avait atteint son apogée en 1891 avec une population permanente de 495 personnes.

Un plan signé J.-N. Gastonguay

Le pont construit en 1899 sur la rivière Petit-Saguenay au village reposait sur deux culées faites de cages de bois lambrissées. L’appareil porteur de type Town était protégé des intempéries par un lambris de planches placées à l’horizontale. La toiture était recouverte de tôle à baguette, un ancien type de revêtement métallique. On accédait à la structure principale au moyen de deux passerelles supportées par des petites cages. On ne connait pas de photos montrant l’aspect de la structure au moment de sa construction. La première photo connue date de 1928 et elle ne présente que le portique vu de face. Mais des photos datant de 1942 et 1946 montrent des vues d’élévation du pont dont le lambris sans ouverture latérale compte un total de six panneaux délimités par des lignes verticales. Détail intriguant, on remarque une différence de teinte aux extrémités du lambris démontrant qu’à l’origine, les cordes supérieures de la charpente étaient plus courtes que les cordes inférieures et que les frontons des portiques d’origine étaient en retrait par rapport aux extrémités du tablier. Les cordes supérieures et les panneaux d’extrémités furent vraisemblablement rallongés plus tard et des nouveaux jambages construits, à la verticale cette fois. Une ligne diagonale brisée et des planches de lambris disjointes montrent la transition entre les deux phases de construction et la position des anciens jambages qui étaient penchés vers le milieu de la travée, donnant à la structure un profil en forme de trapèze.

Sous sa forme d’origine, le pont présentait des ressemblances avec le pont Félix-Gabriel-Marchand de Fort-Coulonge (61-53-01) dont les plans avaient été dessinés en 1897 par l’ingénieur Joseph-Narcisse Gastonguay. Il est donc probable que les idées de l’ingénieur du Département de la Colonisation et des Mines ont aussi été appliquées à Petit-Saguenay, comme le soulignait l’assistant-commissaire Sergius Dufault à son patron, l’honorable Adélard Turgeon, « il convient aussi de remarquer qu’une plus grande attention a été portée à la construction des ponts. Nous fournissons les plans et devis, et dans le cas d’entreprises un peu considérables, les travaux sont faits sous la surveillance immédiate des officiers du département, comme en font foi les rapports que nous publions. » 6

Photo : Montminy et Cie, 1902. BAnQ P1000,S4,D3,P204.

Vue vers l’aval du pont de Petit-Saguenay : on voit nettement les divisions des panneaux ainsi que les rallonges de teinte plus pâle aux extrémités. Photo : Jérôme Cournoyer, 1946. BAnQ E6,S7,SS1,P30793.

L’aspect probable du pont sur la rivière Petit-Saguenay vers 1915. Dessin au plomb : Gaétan Forest, juin 2021.

On ne connait pas les raisons pour lesquelles les modifications à la structure ont été faites. En 1921 le ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, a payé le montant de 1327$ pour des travaux de « construction » et de « réparations » effectués sur un pont d’une longueur de 96 pieds situé dans le rang 1, canton Dumas, ce qui correspond au site sur la rivière Petit-Saguenay à la sortie du village. Le répondant local pour la gestion des octrois était le curé de la paroisse, l’abbé Eugène Grenon. Les travaux auraient aussi entraîné le remplacement de la passerelle nord par un remblai de pierres, ce qui laisse croire à une intervention suite à des dommages causés par un débordement des eaux, car cette partie du pont située dans le méandre de la rivière était vulnérable en temps de crue. Les travaux étaient déjà complétés lors de la crue de 1928. Toutefois la patine du bois de la partie ajoutée ne semble pas très avancée sur les photos prises en 1942 et 1946. Il est possible que seulement le lambris original avait été peint en rouge. 7

On a attribué au pont couvert le nom Benjamin-Fortin, un résident aux abords du pont.

Le pont Horace-Tremblay 

Un second pont couvert fut construit en 1915 sur la rivière Petit-Saguenay, près de l’église du village et de la demeure de Horace Tremblay dont le nom fut attribué à la nouvelle structure (61-17-23) qui n’aurait été toutefois achevée qu’en 1921. Celle-ci était constituée de deux travées du type Town « québécois » d’une longueur totale de 192 pieds. Sa construction remettait en service le vieux chemin ouvert en 1887 par la compagnie Price pour rejoindre le chemin Maritime à l’Anse St-Étienne. 8

Pont Horace-Tremblay (61-17-23) sur la rivière Petit-Saguenay, près de l’église du village. Photo : collection Jacinthe Houde.

Le pont Horace-Tremblay, une structure de type Town « québécois ». Photo : collection Richard Gagnon.

Le pont Patrice-Fortin

Un troisième pont couvert fut construit à 8 kilomètres au sud du village, sur le chemin des Chutes (61-17-30). Érigé en 1920, il permettait d’accéder au 1er Rang Ouest Petit-Saguenay. Ce pont avait une longueur de 96 pieds. 9

Des crues font des ravages à Petit-Saguenay

En mai 1928 d’importantes crues ravagèrent toute la région du Haut-Saguenay et du Lac Saint-Jean suite à des pluies diluviennes qui durèrent pendant plus d’une semaine. Le 25 mai, les eaux des rivières St-Jean et Petit-Saguenay sortirent de leur lit tout en provoquant des dommages considérables sur leur cours. Des estacades et des écluses situées en amont de la chute du Moulin, abandonnées par la Provincial Industries Ltd, une ancienne compagnie d’Ovide Brouillard qui avait fait faillite en 1926, furent rompues par le courant et le pont Patrice-Fortin situé plus bas fut emporté avec tous ces débris. Des glissements de terrains se produisirent ici et là le long des cours d’eau tributaires du Saguenay, dont l’un d’eux causa une perte de vie à l’Anse-St-Jean. Cet extrait du journal La Presse du mercredi 30 mai 1928 illustre bien l’ampleur des événements qui affectèrent Petit-Saguenay : « L’eau a atteint le pont qui la traverse, à la hauteur de la maison de M. Benjamin Fortin. Le pont résista, mais l’eau se fit un chemin chaque côté du pont et creusa le sol, de sorte qu’à l’heure actuelle, le pont est isolé entre deux nouveaux bras de la rivière. » 10

Plus en aval, deux personnes faillirent se noyer en tentant une ultime traversée sur le pont Horace-Tremblay au moment où la structure de bois était sur le point d’être délogée de ses assises. Le niveau de la rivière monta de 30 pieds et le courant déchaîné entraîna ponts, bâtiments, animaux et bois de poêle jusque dans le fjord du Saguenay après que le barrage de la compagnie Provincial Industries Ltd situé près de l’embouchure eût cédé à son tour sous l’énorme pression. Leurs lignes de télégraphe et de téléphone brisées, les villages de L’Anse St-Jean et de Petit Saguenay étaient isolés. 11

Le pont Benjamin-Fortin (61-17-13) a failli être emporté par la crue du 30 mai 1928. Bien que fortement ébranlé, il a tenu le coup. Photo : collection Municipalité Petit-Saguenay.

Ces premiers instants de stupeur passés, on retrouva le pont couvert Horace-Tremblay à 10 kilomètres de son point de départ, apparemment intact et échoué près de l’île St-Louis. Les citoyens réussirent à l’attacher, non sans difficultés, le débâtirent sur place et transportèrent les matériaux récupérables au site du pont Patrice-Fortin, où le pont fut reconstruit à l’automne 1928. Une travée du pont Horace-Tremblay renaissait en quelque sorte sous les traits du pont Patrice-Fortin #2 (61-17-02). 12

Les ministères de la Colonisation et de la Voirie firent des travaux d’urgence pour remettre en ordre les voies de communications autour de Petit-Saguenay. Mais le pont Horace-Tremblay ne sera pas remplacé et seules subsisteront ses culées comme souvenir. 13

Le vieux chemin de St-Étienne à nouveau coupé lors de la crue de mai 1928. Photo : Jérôme Cournoyer, 1946. BAnQ E6,S7,SS1,P30791

Les anciennes culées du pont Horace-Tremblay (61-17-23) subsistaient encore, 18 ans après le déluge de 1928. Photo : Jérôme Cournoyer, 1946. BAnQ E6,S7,SS1,P30792.

Après cette calamité, la route St-Siméon-Grande-Baie, très amochée, avait besoin de soins. Le rapport du ministre de la Voirie : Le département travaille sur cette route depuis l’an dernier. La partie de la route comprise entre St-Félix-d’Otis et Petit-Saguenay avait souffert de lourds dommages au printemps du fait des inondations. Le chemin était devenu absolument impraticable et les communications avaient été interrompues complètement entre Petit-Saguenay, L’Anse-St-Jean, St-Félix-d’Otis et Grande-Baie. Le département de la voirie, de concert avec le département de la colonisation, s’est mis au travail au mois de juin. Il avait à déblayer le chemin, à réparer ou à reconstruire les ponts et à donner un passage convenable. Cette tâche fut terminée au mois d’août. La section St-Siméon-Petit-Saguenay n’ayant pas été affectée par les inondations, elle fut prête plus tôt que sa voisine.

Avant la fin de l’année 1928 on attribua le numéro 15 à cette route. 14

Extrait de la carte du comté montrant les routes d’époque et les sites des trois ponts couverts du canton Dumas, ainsi que le fameux périple du pont Horace-Tremblay. Source : carte 1929, BAnQ.

En septembre 1933 le pont Benjamin-Fortin (61-17-13) sur la « route 15 » d’alors fut considéré comme « dangereux » et il fallait lui accorder une attention toute particulière afin de remédier au problème. 15 En juillet 1937 le ministère de la Voirie fit réparer les approches du pont et le ministère des Travaux publics se chargea de la réfection du tablier et des piliers. 16

Le nouveau portique du pont Benjamin-Fortin conservait les proportions et le style en usage au tout début du vingtième siècle. Photo : Leo Litwin, 1949. CS8.

En 1949 la passerelle sud du pont Benjamin-Fortin n’existait plus. Elle avait été remplacée par du remblai de pierres, probablement lors des travaux de 1937. C’est sous cette apparence que le pont couvert subsistera jusqu’à son remplacement en 1959 par une nouvelle structure en béton armé. Mais sur une photo prise lors des travaux on constate que le pont couvert a été doté d’ouvertures latérales durant ses dix dernières années. Ce qui permet d’observer la présence des diagonales d’un treillis ainsi que des plus grosses pièces diagonales orientées vers le milieu de la travée, dévoilant la présence d’une ferme auxiliaire de type arbalétriers jouxtée à la ferme principale de type Town, à l’instar du pont Félix-Gabriel-Marchand, de Fort-Coulonge. La position des anciens jambages caractéristiques est aussi nettement observable. Autant d’indices signalant l’influence de J.-N. Gastonguay sur le design du pont Benjamin-Fortin en 1898-99.

À travers les ouvertures latérales (non d’origine) pratiquées dans le lambris, on remarque le treillis Town et un gros arbalétrier. La ligne de transition entre le lambris original et la rallonge demeure visible en 1959. Photo : collection municipalité de Petit-Saguenay.

Il y eût un exemplaire de structure similaire sur la rivière Rouge à L’Annonciation (61-33-24). Ce pont construit par Georges Barrette en 1897 comptait des arbalétriers auxiliaires en plus de son treillis Town.

À l’époque de sa construction, le pont Benjamin-Fortin desservait le chemin de St-Étienne. Par la suite ce chemin fut connu sous le nom de chemin St-Siméon-Grande-Baie. En 1928 le ministère de la Voirie lui avait attribué le nom de route 15, mais en 1934, il le changea en route 16. Cette voie est devenue en 1971 la route 170 que l’on connait de nos jours. 17

Le deuxième pont Patrice-Fortin

Le pont Patrice-Fortin #2 subsistera jusqu’en 1963 sur le chemin des Chutes. Il sera démoli et remplacé par une structure acier-bois. Le barrage en béton tout juste en amont avait été construit en 1950 par la Coopérative d’électricité de Petit-Saguenay et de L’Anse St-Jean. Il s’agissait du premier barrage construit sous l’égide de la loi de l’Office sur l’électrification rurale dans la province. L’inauguration du barrage eût lieu le 20 août 1950. Il a été démoli en 2015 et la rivière a retrouvé son état naturel. 18

Pont Patrice-Fortin #2 (61-17-02), construit en 1928 avec une partie du bois du pont Horace-Tremblay (61-17-23). Photo : Leo Litwin, 1949. CS7.

Le barrage construit en 1950 en amont du pont Patrice-Fortin sur le chemin des Chutes. Photo : Euclide-A. Paré, 1950. BAnQ E6,S7,SS1,P78401.

Le Québec ne compte plus qu’un exemplaire du style architectural représentant l’époque de J.-N. Gastonguay, le pont Gabriel-Marchand de Fort-Coulonge (61-53-01) construit en 1898. Son treillis comptait moins de diagonales que le type « Town québécois », le modèle standard de colonisation en usage durant la première moitié du vingtième siècle. L’association du treillis « allégé » avec une ferme auxiliaire de type arbalétrier et poinçon double convenait pour de petites portées. Le pont Benjamin-Fortin était similaire, mais avec un treillis plus dense adapté pour une travée de 95 pieds. Le village de Petit-Saguenay comptait donc un exemplaire d’un modèle de structure peu commune développé par le Département de la Colonisation et des Mines du Québec dans les années 1890-1900, témoignant du savoir-faire de l’ingénieur Joseph-Narcisse Gastonguay et de son habile charpentier-menuisier, Georges Barrette.

Gaétan Forest, juillet 2021

RÉFÉRENCES :

1- Plan J.-B. Duberger, 24 septembre 1847; site Web petit-saguenay.com.

2- idem.

3- Le Progrès du Saguenay, 17 novembre 1885; plan William Tremblay 31 août 1892, BAnQ; rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de Québec, 1898.

4- Rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de Québec 1899; Zéphirin Desgagné, le renommé constructeur de goélettes de l’Anse St-Jean, possédait une ferme de 200 acres et un moulin à farine qu’il avait mis en vente en mai 1895 (Le Progrès du Saguenay, 30 mai 1895); Rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de Québec 1900.

5- Le Progrès du Saguenay, 10 novembre 1898; pour l’histoire à la fois fabuleuse et tragique de St-Étienne-du-Saguenay, consulter l’excellent historique sur le site Web petit-saguenay.com.

6- Rapport du Commissaire de la Colonisation et des Mines de la Province de Québec, 1899, p.iv; Joseph-Narcisse Gastonguay : né le 13 janvier 1849 à St-Roch-des-Aulnaies, décédé à Québec le 28 juillet 1922, arpenteur-géomètre, ingénieur civil, nommé directeur des travaux de colonisation au département provincial de l’Agriculture et de la Colonisation de 1895 à 1914.

7- Rapport général du Ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, 1921 et 1922.

8- Idem ; plan William Tremblay, 31 août /1892, BAnQ; plans Lorenzo Bernier, 27 mars 1939 et 16 janvier 1940, BAnQ; La Presse, 17 novembre 1885.

9- Rapport général du Ministre de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries, 1920.

10- La Presse, lundi 28 et mercredi 30 mai 1928 : la St. Simeon Lumber Co. (compagnie de Ovide Brouillard), fondée en 1907, avait acquis en 1914 les anciens terrains de la compagnie Price situés près de l’embouchure de la rivière Petit-Saguenay et y avait construit une scierie et un petit barrage et des estacades un peu partout le long de son parcours. Ses approvisionnements en bois compromis par des feux de forêts en 1915, la compagnie fit faillite l’année suivante, mais repartit sous le nom de Provincial Industries Ltd. Elle fit à nouveau faillite en 1926 après avoir reconstruit le barrage l’année précédente. Le moulin a été acquis par Elzéar Pelletier qui l’a réinstallé à St-Étienne tout en abandonnant le barrage et les estacades.

11- Le Progrès, lundi 28 mai 1928 : ce journal écrit « l’un des deux ponts emportés était en fer et bâti d’à peine quatre ans » : ce serait le pont Patrice-Fortin #1, et une date de construction vers 1924 est possible, mais cette mention d’un pont en fer semble inexacte ; Le Soleil, lundi 28 mai 1928 : ce journal indique aussi que l’un des ponts date d’à peine quatre ans mais que «  l’autre (pont) date d’une vingtaine d’année » (ce dernier serait donc le pont Benjamin-Fortin, mais il n’a pas été détruit, quoique ses approches furent très endommagées par le courant qui contourna la structure principale. C’est plutôt le pont Horace-Tremblay, datant de 1915-21, qui fut emporté.); La Presse, mercredi 30 mai 1928.

12- idem.

13- Le Soleil, samedi 1er septembre 1918.

14- Rapport du Ministre de la Voirie, 1928.

15- Le Progrès du Saguenay, jeudi 21 septembre 1933.

16- L’Illustration nouvelle, vendredi 2 juillet 1937; Le Progrès du Saguenay jeudi 27 mai 1937.

17- Rapport du Ministre de la Voirie, 1928.

18- La Gazette de Québec, 5 février 1949; Le Devoir, mercredi 23 août 1950; Le Progrès du Saguenay, 28 mars 1963.

 

5 réflexions sur « La signature de l’ingénieur »

    1. Pascal Auteur de l’article

      Merci pour ce gentil commentaire, et merci aussi d’apprécier les articles de Gaétan. Tout le mérite lui revient. Vos visites sur le site sont appréciées. Bonne journée!

      Répondre

Répondre à Jean Renaud Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *