Le pont Taché : du costaud (Deuxième partie)

Photo : R. Sauvage (1943). Source : BAnQ, Cote : E6,S7,SS1,P11636

La semaine se termine par la suite de l’article sur le célèbre pont Taché, un excellent texte signé Gaétan Forest, dont la première partie a été publiée sur le blogue la semaine dernière. On retrouve la fameuse structure dans ce qui pourrait être considéré comme la deuxième moitié de sa vie, car en effet un drame va changer le destin du pont Taché. Merci à Gaétan de partager avec nous le fruit de ses nombreuses recherches.

De retour mardi…

Le pont Taché : du costaud (2e partie)

par Gaétan Forest

Tout allait relativement bien pour le pont Taché depuis sa construction en 1894. Après une série de travaux d’entretien, et particulièrement la réfection des piliers en 1920, les usagers pouvaient franchir la grande structure en toute confiance. Toutefois, la crue extraordinaire qui affecta tout le bassin du lac Saint-Jean au printemps 1928 eût des répercussions sur la Grande Décharge. Le jeudi 24 mai, l’approche à l’ouest du pont rouge disparaissait déjà sous plus d’un mètre d’eau. Une automobile enlisée avait été abandonnée par son propriétaire intrépide qui avait tenté de contourner l’obstacle. Le lendemain, l’eau continuait de monter, atteignant quelque sept mètres au-dessus du niveau normal. La passerelle du côté de Saint-Nazaire fut emportée. Les énormes vagues écumeuses frappaient maintenant les lambris en formant un jet d’eau inquiétant. En fin d’après-midi, plus personne ne se risquait à traverser le pont à pied. Le courant déchaîné emporta les trois travées du côté est durant la nuit du 26 au 27 mai. Quelque 122 mètres de structures allèrent s’échouer à plusieurs kilomètres en aval. Seule resta intacte la grande travée, imperturbable. Le petit pont couvert sur le canal secondaire fut également épargné.

Trois travées du pont Taché partent à la dérive durant la nuit du 26 au 27 mai 1928. Photo : collection Gérald Arbour.

Collection : Gérald Arbour

La grande travée résiste à la fureur des flots. Photos (2) : collection Gérald Arbour

La Duke-Price Power Company Limited fut pointée du doigt comme responsable de la perte du pont Taché et des nombreux dommages et préjudices ayant été causés par sa mauvaise gestion du barrage. Une mise en demeure contre la compagnie fut déposée par un comité de citoyens appuyé des maires des municipalités concernées. Les trois travées manquantes furent remplacées aux frais du gouvernement (15,372.52$) par des structures de type Town élaboré typiques de leur époque, dont la construction a été achevée le 9 novembre 1928. 1

Le pont Taché avec les trois travées reconstruites en 1928. Photo : Olivier Desjardins, 1945. BAnQ E6,S7,SS1, P26517.

En 1935, le ministère de la Voirie a amélioré les approches du pont Taché qui étaient malmenées régulièrement par les crues. En décembre 1940, les conseils de comté du Lac-Saint-Jean et de Chicoutimi ont consacré la somme de 800$ pour effectuer des réparations urgentes au pont et ont demandé au gouvernement un octroi de 1000$ pour son entretien, tout en le priant de le reconstruire dès que possible. Mais le rationnement de guerre imposait des limites budgétaires et le ministère des Travaux publics a simplement effectué des travaux sur la structure durant l’exercice financier 1942-1943 afin de prolonger sa durée encore quelques années. 2

Le ministère de la Voirie a entrepris en 1945 la construction d’une nouvelle route réduisant de 2,7 kilomètres la distance entre Saint-Joseph-d’Alma et Isle-Maligne. Le ministère des Travaux publics a converti en pont-route le pont désaffecté du chemin de fer Québec-Saguenay-Chibougamau construit en 1928 sur la Grande Décharge. Il reviendra au fils de l’ingénieur Louis-A. Vallée, l’ingénieur Yvan-Edmond Vallée, alors sous-ministre des Travaux publics, de décider de la démolition du vieux pont Taché. Les travaux en régie ont commencé à l’automne 1946. En avril 1947, la démolition de la charpente en bois était complétée par Égide Harvey, de Saint-Joseph-d’Alma, sous la supervision d’Émile Paré, de Québec. La grande travée était encore si solide que de la dynamite a été utilisée pour la démolir. En 1948, Edmour Savard, de Saint-Cœur-de-Marie, s’est chargé de démolir les culées et les piliers. Les pièces de charpente du pont Taché furent entreposées sur un terrain abandonné sur le site d’un ancien moulin à scie où elles furent démontées et vendues à l’unité. Plusieurs chalets de la région furent construits avec son bois et couverts de sa tôle. 3

L’ancien pont ferroviaire du Québec-Saguenay-Chibougamau durant sa conversion en pont-route en 1945 pour remplacer le pont Taché. Photo : Louis-Philippe Poudrier. BAnQ E6,S7,SS1,P26172.

Localisation des ponts jumelés Taché et du pont de remplacement en 1945. Carte 1943, 22D12 BAnQ.

Il ne restait pratiquement plus de traces de la magnifique structure qui a servi le public pendant plus de 52 ans et qui fut à l’époque la plus longue arche en bois au Canada. Afin qu’elle ne tombe pas dans l’oubli, le docteur J.-A. Bergeron, le président de la Société historique de Saint-Joseph d’Alma et monseigneur Victor Tremblay, le président de la Société historique du Saguenay, procédèrent à l’inauguration d’un kiosque et au dévoilement d’une plaque historique, le 24 septembre 1950, en bordure de la Grande Décharge, près de l’endroit où avait été érigé le fameux pont. Cette plaque a toutefois été retirée pour la soustraire au vandalisme dont elle faisait l’objet et elle est conservée dans les locaux de la Société d’histoire du Lac-Saint-Jean. 4

Mgr Victor Tremblay et le docteur J.-A. Bergeron installent une plaque historique, le 24 septembre 1950. Photo : coll. Société d’histoire du Lac-Saint-Jean.

Après le projet de construction du pont de la Grande Décharge en 1894, l’équipe de bâtisseurs de Saint-Raymond-de-Portneuf s’était donné rendez-vous à Saint-Félicien où l’attendait un nouveau défi sur la rivière Ashuapmushuan.

À suivre, voir Le pont croche des Bleus.

Gaétan Forest, octobre 2017.

 

 

Références :

1- Le Progrès du Saguenay, 28 et 29 mai, 4 juin 1928 ; Débats de l’Assemblée législative (débats reconstitués) 17e Législature, 2e Session, 18 février 1929.

2- Rapport du Ministère de la Voirie, 1943 ; Rapport général du Ministère des Travaux publics, 1943, p. 22 ; Le Progrès du Saguenay, 12 décembre 1940.

3- Rapport du Ministère de la Voirie, 1945, p. 40 ; Rapport général du Ministère des Travaux publics, 1945, pp 7-15, et 1946, pp. 5-9 ; Historique du pont Taché. Une gloire régionale. Marc-André Deschênes. Dossier #225 No. 3, Société historique de Saint-Joseph d’Alma.

4- Le pont de Taché, Bulletin No 13, 5 octobre 1950, Société historique du Saguenay ; la Société d’histoire de Saint-Joseph d’Alma est devenue la Société d’histoire du Lac-Saint-Jean en 1985.

3 réflexions sur « Le pont Taché : du costaud (Deuxième partie) »

  1. Christian Harvey

    Merci M. Forest
    Cest une très importante recherche sur le pont Taché et un peu du Pont J. F. Grenon que vous avez fait.
    Ils sont au coeur de notre système de transport et de communication de notre MRC Lac-Saint-Jean.
    Je suis ouvert à un complément d’information pour le public en général sur ces deux projets et en collaboration avec la Société d’histoire du Lac-St-Jean.
    Je suis un des descendants de la famille Lavoie du Pont Taché (Curé Heracleus Lavoie).
    Et aussi très impliqué avec la famille Grenon pour le Pont J. F. Grenon l’ingénieur de ce projet de chemin de fer initialement.
    Christian Harvey ing.

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    1. Pascal Auteur de l’article

      Merci pour votre commentaire. Je vais m’assurer que M. Forest en prenne connaissance. Bonne journée!

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    2. Gaétan Forest

      Bonjour M. Harvey,
      Je vous remercie pour votre gentil commentaire. Ces ponts sont en effet des ouvrages qui témoignent de l’ingéniosité et de la hardiesse de nos ancêtres pour vaincre les obstacles.
      Il semble que le nom du pont métallique Jean-Florian Grenon honorant son concepteur m’a échappé et je compte bien l’ajouter à mes bases de données.

      Bonne journée !

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