La colonisation du Canton Laas et les ponts couverts du secteur

Photo : Gaétan Forest (Février 1979)

Avant de se laisser pour quelques jours à cause du long congé, nous avons droit à une belle surprise de la part de notre ami Gaétan Forest. En effet, ce tout nouvel article qu’il a rédigé  le mois dernier nous replonge en plein projet de colonisation dans le secteur du Canton Laas. Pas moins de trois ponts couverts sont abordés dans cet article riche en renseignements historiques. Je connais quelques amateurs de ponts couverts qui songent à se rendre au pont du Canton Laas cet été. Parions que la lecture de ce billet donnera une autre perspective à leur aventure. Merci à Gaétan pour cet excellent article qui représente comme à chaque fois des heures incalculables de recherche.

Afin d’apprécier ce billet à sa juste valeur, le blogue sera de retour mercredi…

Des projets de colonies pour l’après-guerre

En novembre 1948, l’ingénieur forestier Guy Samson, de Québec, se rendit en Abitibi pour faire un travail de reconnaissance en vue de préparer l’ouverture du canton Laas à la colonisation. Les lots de ce canton, ainsi que ceux de Hurault et de Comtois, avaient été délimités deux ans plus tôt par le ministère de la Colonisation, qui en avait fait également l’inventaire forestier complet. Le gouvernement Duplessis avait mis en place une politique dite de « moto-colonisation » qui permettait d’accélérer le défrichement au moyen de béliers mécaniques. Le plan prévoyait le déboisement mécanisé partiel des lots sur une superficie d’environ 3 hectares, le bois récolté devant servir à la construction des maisons. Le canton Despinassy a été ainsi ouvert à la colonisation et la paroisse Saint-Hyacinthe-de-Despinassy fut fondée en 1949. Puis les autres cantons au nord, dont Laas, devinrent le nouvel objectif des missionnaires-colonisateurs.

À l’automne 1949 l’entrepreneur Georges Langlois, de Senneterre, parachevait le dernier tronçon de route unissant les cantons Montgay, Bartouille et la station Laas (Beattyville) du Canadien National, à 65 kilomètres au nord de Senneterre. L’achèvement de la route 58 rendait obsolète l’usage des chalands sur le lac Parent pour transporter les véhicules. Les infrastructures étaient maintenant en placepour favoriser l’établissement de nouvelles colonies. Le 24 décembre, cent cinquante personnes s’entassent dans la salle du camp Langlois pour assister à la première messe dans le canton Laas, célébrée par le Révérend Père Beaudet, missionnaire de Lac-Simon. Les échos de la chorale formée de jeunes gens de Senneterre, sous la direction de Charles-R. Gagné, se répercutent jusque dans la forêt d’épinettes noires. Un repas de réveillon somptueux est servi à la couquerie du camp.2

Le canton Laas bourdonne d’activités durant l’année 1950. Mais il s’agit surtout de travaux visant la préparation des lots et des matériaux pour la construction des maisons de colonisation. Les deux moulins à scie portatifs du Ministère fonctionnent à plein régime. Le camp principal de l’entrepreneur Georges Langlois situé au rang 2-3 comprend, outre le premier moulin,un magasin, une boutique de forge, un dortoir pour les travailleurs, une cuisine et les bureaux des mesureurs et du contremaître. L’autre moulin, sous la direction du sous-entrepreneur Héras Richard, est situé dans le rang 7-8. Le publiciste Gérard Ouellet du gouvernement séjourne quelques jours dans ces camps en 1950 et en fait un reportage photographique complet. Il qualifie alors le camp Langlois au rang 2-3 de « futur village de Laas. » 3

Camp Langlois, canton Laas. Photo : Serge Godbout, 1950. BAnQ E6,S7,SS1,P78441.

Les terres du canton Laas, qui comptaient quelque 228 lots, étaient classées bonnes pour la culture et on prévoyait les ouvrir à la colonisation au printemps 1950. En juillet, le Comité d’établissement rural de la Fédération de l’U.C.C. du Saguenay a demandé au ministère de la Colonisation de mettre le canton à la disposition des cultivateurs du diocèse de Chicoutimi. On visait à en faire une colonie coopérative regroupant quelque cent familles. Les plans de paroisse étaient faits, le Ministère avait construit les chemins dans tout le canton et il se préparait à faire défricher mécaniquement quelques arpents sur chaque lot de ces « rangs doubles », si bien que l’organisation de la nouvelle colonie pouvait être complétée, au besoin, en deux ou trois mois, croyait-on. 4

L’honorable Joseph-Damase Bégin, ministre de la Colonisation, a déclaré aux missionnaires-colonisateurs en avril 1951 « que son ministère désirait ardemment travailler à l’établissement de défricheurs sérieux. » Le Ministère mettait alors en œuvre une grande campagne de publicité pour inciter les jeunes à s’établir sur des lots de colonisation. 5

En avril 1951, les Chambres de Commerce de l’Abitibi recommandaient la construction d’une route entre Despinassy et le canton Laas. La route 64 (397) rejoignait la route 58 (113) à Beattyville l’année suivante et un pont couvert (61-01-23) a été construit sur la rivière Laflamme dans le rang 5-6, canton Laas. Composé de trois travées de type Town élaboré d’une longueur totale de 401 pieds (122 mètres), ce pont était le plus long pont couvert en Abitibi.

Pont sur la rivière Laflamme, route 64 (397), canton Laas (61-01-23). Photo : L. Dumont, vers 1961. BAnQ 08Y, E23,S1.

Le ministère des Travaux publics a effectué des travaux de réfection sur la structure en 1961. Un ingénieur du Service des Ponts écrivait dans son rapport : « Bien qu’il s’agisse d’un pont dit de colonisation, son importance s’est accrue rapidement vu que la route où il est situé est un des principaux accès à la route de Chibougamau et un trafic très lourd y circule. Il a donc fallu réparer les parties endommagées par le trafic lourd et améliorer sa capacité en renforçant les fermes, en remplaçant et ajoutant des soliveaux et en renouvelant le plancher. » C’est probablement à l’occasion de ces travaux que disparurent les cintres des portiques. Le pont couvert de la route 64 a fait place à une structure bois-acier en 1974. 6

Une hauteur libre affichée de 14 pieds et 9 pouces (4,5 mètres). Photo : Hugo Lundquist, septembre 1973

Un pont couvert enjambe la rivière Laas dans le rang 9 du canton Laas (61-01-30). Réputé être le dernier du Québec, il aurait été construit vers 1958. Toutefois, le réseau routier du canton ayant été complété entre 1950 et 1952, il est plus probable que le pont a été érigé durant la même période. Constitué d’une travée de type Town élaboré, ce pont couvert était typique de son époque, avec ses doubles cordes, ses portiques à angles obliques courts et l’agencement de ses ouvertures latérales. Son pilier central en rivière ne semblait toutefois pas essentiel pour supporter une structure de seulement 105 pieds (32 mètres) de longueur. Peut-être que le devis de construction exigeait une capacité suffisante pour desservir un éventuel transport minier et forestier local.

Début du vandalisme sur le pont du canton Laas (61-01-30). Photo : Pierre Duff, 1976.

Les dégâts progressent d’année en année. Photo : Gaétan Forest, février 1979.

Une carte thématique annexée à une étude sur les ponts couverts du Québec réalisée par le ministère de la Voirie en 1971 indiquait l’emplacement d’un deuxième pont couvert dans le rang 8 du canton Laas, vraisemblablement sur un ruisseau tributaire de la rivière Laas. Toutefois, l’existence de cette structure n’a jamais pu être confirmée. 7

À l’ouest, le canton Hurault fut divisé en lots par les arpenteurs Lucien Castonguay et Jean-Marie Roy en 1945. Des concessions forestières y furent établies l’année suivante. La compagnie Hudson Bay Exploration and Development Ltd enregistra des claims miniers dans la partie nord-ouest du canton en 1959. Elle y effectua des relevés et des forages exploratoires en 1960. La même compagnie explora les rangs 6 à 9 du canton Laas, mais la concentration en cuivre et zinc de ces claims ne fut pas considérée comme rentable et aucune exploitation n’y fut entreprise. 8

À 5,5 kilomètres à l’ouest du pont de la rivière Laflamme, un pont couvert (61-01-31) fut construit vers 1952 au-dessus du ruisseau Lavigne, sur le chemin des 5e-et-6e-Rang, dans le canton Hurault. Cette structure était supportée par des poutres de type Town élaboré d’une longueur de 121 pieds (37 mètres) sans pilier intermédiaire. Contourné et désaffecté vers 1977, le pont couvert fut incendié en 1983. 9

Pont Lavigne (61-01-31) dans le canton Hurault. Photo : Gaétan Forest, février 1979.

« Qu’est-il advenu de la merveilleuse expérience du canton Laas ? » Tel était le titre de l’article de Pierre Vigeant, dans Le Devoir du 29 mai 1956. Cinq ans plus tôt, une délégation, dont le journaliste faisait partie, avait visité le canton Laas sous la pluie, ce qui n’aidait en rien à nourrir l’enthousiasme des visiteurs pour l’endroit. La plupart des routes étaient déjà achevées. Selon le plan de colonisation, la chapelle et les écoles devaient être construites avant l’arrivée des colons. Ceux de Laas devaient être choisis dès l’année suivant la visite, soit en 1952, ce qui ne s’est pas produit. La campagne de publicité vigoureuse, autant que parfois douteuse, du régime de l’Union Nationale pour attirer des jeunes colons n’eût pas l’effet escompté. « La colonisation ne marche plus » écrivait Vigeant dans Le Devoir. Malgré les efforts pour préparer cette nouvelle terre d’accueil, le canton Laas est demeuré tristement désert, sa colonie réduite à l’état de projet sans suite. Tout comme les cantons Ducros et Bartouille, au sud, Hurault à l’ouest et Comtois au nord. Le pont couvert du rang 9 a attendu en vain l’arrivée des colons. Abandonné, mal-aimé, déchiqueté, brûlé à petit feu, il a fini par s’écrouler par pans entiers. Le dernier vestige du rêve utopique de coloniser le canton Laas n’est plus qu’un amas de bois pourrissant. 10

Gaétan Forest, avril 2017 (révision février 2019)

Le réseau routier en 1966 dans les cantons Laas et Hurault, avec la localisation des ponts mentionnés dans le texte. Carte 1966, feuillet 32C BAnQ.

Références :

1- La Gazette du Nord, 12 novembre 1948, 29 avril 1949, Le Devoir, 29 mai 1956 ; plans d’arpentage du canton Laas, Joseph Blanchet et Jacques Gravel, 1946. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1,PL.109A et PL.109B.

2- La Gazette du Nord, 5 janvier 1950.

3- Plusieurs photos par le publiciste du ministère de la Colonisation Gérard Ouellet, 1950 (BAnQ.)

4- La Gazette du Nord, 13 juillet 1950.

5- Idem, 5 et 26 avril 1951.

6- La Gazette du Nord, 26 avril 1951 ; Rapport général du Ministre des Travaux publics, 1961.

7- La Gazette du Nord, 15 et 29 mars 1951 ; carte de localisation des ponts couverts, dans l’étude (inventaire) Les ponts couverts du Québec, Service technique de la circulation, Division des aménagements connexes, ministère de la Voirie, Province de Québec, 1971.

8- Plans d’arpentage du canton Hurault, Lucien Gravel et Jean-Marie Roy, 1945. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1, PH.38B et PH.38C ; Description of Mining Properties examined in 1961 and 1962 an Outline of Geology and Exploration Work. Quebec Department of Natural Ressources, 1964, pp.26-27.

9- Le Pont’âge, vol. 4, p. 2.

10- Le Devoir, 29 mai 1956.

4 réflexions sur « La colonisation du Canton Laas et les ponts couverts du secteur »

  1. stephane Pelletier

    Bonjour,
    très intéressant votre article sur le Canton Lass, mais la carte est inexacte. En 1966, le village de Beatyville avait bien une scierie, mais le propriétaire était Camille Richard et cela depuis 1952. Heras, l’ayant vendu a son fils. J’ai écrit l’histoire de Lebel-Sur-Quévillon en 2016 et ce que l’on m’a conté à propos de monsieur Langlois c’est qu’il était en charge de l’ouverture des chemins de pénétration et des colons. Jamais entendu parler de scierie. J’ai des photos des scierie en question et elles m’ont été données par la famille Richard. J’ai aussi des photos de village Langlois, créé en 1948, mais aucune d’une scierie. La famille de Georges habite toujours Senneterre et oeuvre dans le monde du transport. Il y a beaucoup de recherche pour produire votre texte car les notes sur Georges Langlois sont très rares. Félicitations.

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    1. Pascal Auteur de l’article

      Bonjour et merci beaucoup pour votre commentaire. Cet article est en effet très captivant et nous sommes heureux de pouvoir compter sur la collaboration de monsieur Forest pour ces riches articles historiques. J’informerai monsieur Forest de votre commentaire et de vos bons mots, il en sera certainement touché. Je sais qu’il puise beaucoup d’information dans les journaux d’époque. Il rapporte donc ce qu’il y trouve, mais il est en effet possible que certaines erreurs s’y glissent. Merci pour votre visite sur le site des ponts couverts du Québec. N’hésitez pas à nous écrire. Bonne journée!

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  2. Gaétan Forest

    Bonjour,
    Je vous remercie pour votre gentil commentaire. Intrigué, j’ai révisé mes sources à l’origine de la mention des deux moulins à scie aux camps Langlois, dans le canton Laas (rang 2-3 et rang 7-8), qui seraient indépendants de la scierie commerciale de Héras et Camille Richard. Il s’agit d’une série de 24 photos par Gérard Ouellet, qui était publiciste pour le ministère de la Colonisation en 1950. Ces photos, qui se trouvent à la BAnQ, ne sont pas numérisées. Il est possible que ces moulins étaient des structures démontables appartenant au Ministère, transportées d’une colonie à l’autre, et qui ne serviraient qu’aux fins de construction des maisons de colonisation, car pour chacun des 2 sites, monsieur Ouellet mentionne « notre moulin ». Si vous le désirez, vous pouvez m’écrire via le webmestre. Il me fera plaisir d’échanger sur ce sujet. Bonne journée !

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  3. stephane Pelletier

    Rebonjour, je peux vous envoyer les deux photos de 1952 des scieries de Camille et Héras Richard qui m’ont été fournies par la famille pour le fin de mon livre. Je vais regarder si je les ai sous la main. Bonne journée

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