Un pont couvert disparu, une colonie oubliée et des infos sur le pont Davy

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Photo : Gérard Ouellet (1950). Source : BAnQ, Cote E6,S7,SS1,P81272

La semaine se termine par un délicieux billet signé Gaétan Forest. Vous allez certainement le dévorer en moins de 5 minutes, mais notre ami Gaétan, un véritable passionné de  la recherche dans les archives, a mis des semaines à rassembler toutes ces informations. Je vous invite donc à découvrir une colonie abitibienne oubliée, soit celle de Dollard-des-Ormeaux. Cela permet d’ajouter un pont couvert dans la section des disparus, soit le pont  Millage 19. De plus, comme par un heureux hasard, on en apprend un peu plus sur le pont Davy récemment découvert à St-Dominique. Vous allez vite comprendre comment toutes les pièces du casse-tête s’emboitent. Le blogue fera relâche jusqu’à mardi, question de vous laissez savourer pleinement ce billet très riche en informations. Merci à Gaétan pour ce travail de recherche colossal. Bonne lecture!

La colonie Dollard-des-Ormeaux

par Gaétan Forest

Sous l’égide du gouvernement libéral de Lomer Gouin et de l’Église, l’abbé Yvanhoë Caron a occupé le poste de missionnaire-colonisateur officiel de l’Abitibi de 1911 à 1924. Durant cette période les travaux de défrichement se concentraient dans les cantons disséminés le long du chemin de fer Transcontinental pendant que les terres à l’écart qui étaient encore dépourvues de voies de communication attendaient l’arrivée du premier colon. La famille du pionnier Alphonse Normandin s’établit sur le lot 15 du rang 1 canton Béarn en 1924. Le pont couvert (61-01-05) qui sera construit 26 ans plus tard sur le chemin Lavoie-Ouest portera son nom. La dénomination du chemin honore la mémoire de la deuxième famille implantée dans le canton, celle d’Arthur Lavoie, qui a construit un moulin à scie…

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Pont Alphonse-Normandin (61-01-05), rivière Davy, Saint-Dominique. Photo : Gaétan Forest, 1981.

L’abbé Charles Minette succède à l’abbé Caron en 1927. Le peuplement du canton Béarn prend son essor durant la crise économique avec la contribution de la société diocésaine de colonisation et du plan Vautrin, un programme d’aide mis en place par le gouvernement libéral Taschereau pour favoriser la colonisation. De 1928 à 1936, l’arrivée de colons montréalais dans le canton se fait donc plus régulière, si bien que l’on compte 96 familles pour un total de 471 habitants en 1937. Les colons répondent à l’appel de leur curé pour participer aux corvées de construction de l’église et du presbytère de 1937 à 1939. La mission Saint-Dominique-de-Béarn est fondée. 1

Mais la partie du canton Béarn située à l’est de la rivière Harricana demeure vacante à l’époque. Le gouvernement de l’Union nationale de Maurice Duplessis signe une entente avec le gouvernement fédéral et lance le plan de colonisation Rogers-Auger (1937-1941). Ce plan vise d’abord la consolidation des colonies abitibiennes mais aussi l’ouverture de nouveaux centres de peuplements. Le poste du missionnaire-colonisateur est aboli mais les missionnaires-diocésains et les prêtres-colons prennent la relève. Dans le nouveau diocèse d’Amos, l’abbé Joseph-Albert Morasse, curé de Saint-Félix-de-Dalquier, travaillera de concert avec le ministère de la Colonisation pour voir à l’installation de nouveaux colons. C’est dans ce contexte que naît durant l’année 1937 le projet de la colonie Dollard-des-Ormeaux. 2

En juillet 1938, Michel Chartrand visite la colonie avec un groupe de 50 jeunes colons membres de l’Action catholique de la jeunesse canadienne (A.C.J.C.). Ce sont des anciens chômeurs venus de Montréal pour la plupart, accompagnés d’un père franciscain. Le futur syndicaliste reviendra à Montréal bouleversé par la misère noire vécue par ces colons. 3

Un projet de coopérative de colonisation de Dollard-des-Ormeaux voit le jour en 1941. L’année suivante, l’arpenteur Paul Savard complète le lotissement de cette partie du canton Béarn. Son travail touche également la moitié ouest du canton Castagnier. Ainsi se précise le territoire de la nouvelle colonie qui s’insère entre les missions de Saint-Dominique-de-Béarn et de Saint-Georges-de-Lac-Castagnier. 4

Saint-Dominique-du-Rosaire, paroisse reconnue officiellement en 1948, s’était dotée d’un pont couvert (61-01-53) sur la rivière Davy en août 1935. Le ministre de la Colonisation Irénée Vautrin accompagnait un groupe d’excursionistes en visite dans le canton. Sur une photo officielle prise devant le pont en construction on y voit entre autres monseigneur Louis Rhéaume évêque du diocèse d’Haileybury 5, l’abbé Charles Minette missionnaire-colonisateur, Julien Beaudry agent des terres d’Amos, Médard Boucher le constructeur du pont. 6

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L’ABITIBI D’AUTREFOIS, D’HIER ET D’AUJOURD’HUI. Pierre Trudelle, Amos, Qc. 1937.

Construction du pont. M. Julien Beaudry, M. l’abbé Charles Minette, missionnaire-colonisateur, Mgr Louis Rhéaume, O.M.I., et MM. Oliva Archambault, Médard Boucher et J.-P. Gariépy. (Pont Lanthier, 61-01-53).

La route qui devait mener aux confins du canton n’avait guère progressé au delà du pont couvert situé dans le rang 4, au centre du village, en quelque sorte le terminus pour tout voyageur venant d’Amos. À l’époque le transport vers les rangs 5 à 10 se faisait principalement par voie d’eau. Dans le rang 7, à peu de distance de la convergence des rivières Davy et Harricana, un quai avait été construit près du moulin à scie Carrier. Il faudra attendre l’année 1941 pour que le réseau routier se ramifie plus au nord et vers l’est, et qu’un pont franchisse la rivière Davy dans les rangs 5-6. Cette voie de communication, qui était alors connue sous le nom de « Chemin de la Colonie Dollard des Ormeaux », constituait le seul accès à la dite colonie. C’est l’actuel chemin Hamel. 7

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Photo : Donat C. Noiseux (1941). Source : BAnQ, Cote E6,S7,SS1, P2317

Pont sur la rivière Davy sur le « chemin de la Colonie Dollard des Ormeaux » (chemin Hamel).

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Photo : C. Léveillé (1941). Source : BAnQ, Cote E6,S7,SS1, P2158.

Pont sur la rivière Davy : un tablier supérieur supporté par des poutres de type Warren à double intersection.

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Photo : Gérard Ouellet (1950). Source : BAnQ, Cote E6,S7,SS1, P81274.

Vraisemblablement écroulé sous une surcharge, le pont a été remplacé vers 1951 par une structure à tablier supérieur de type Town élaboré, laquelle existe encore.

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Photo : Gaétan Forest (9 octobre 2016).

À la fin de l’année 1949, un pont couvert (61-01-55) a été construit sur la rivière Harricana au rang 5 pour faciliter l’accès à la colonie qui se trouvait du côté est. Cette voie deviendra éventuellement la route 109. Fait à noter, ce pont semblait sortir du même moule que le pont couvert Alphonse-Normandin, construit presque simultanément. Tous deux avaient des ouvertures latérales et des portiques cintrés identiques. Les cintres du pont Alphonse-Normandin ont toutefois été éliminés vers 1971 pour faire place à un découpage standard.

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Photo : Gérard Ouellet (1950). Source : BAnQ, Cote E6,S7,SS1, P81271.

Pont sur la rivière Harricana construit en fin 1949 à l’entrée ouest de la colonie Dollard-des-Ormeaux, cantons Béarn et Castagnier, Abitibi-Est (61-01-55).

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Photo : Gérard Ouellet (1950). Source : BAnQ, Cote E6,S7,SS1, P81271.

Les abords du pont du côté est sont à peine ébauchés au moment de la visite de Gérard Ouellet, publiciste du ministère de la Colonisation, en 1950. À l’opposé, la demeure d’un colon sur le rang 5, canton Béarn, aujourd’hui à la croisée de la route 109 et du chemin Hamel.

La colonie Dollard-des-Ormeaux, aussi connue sous le nom Saint-Martyrs, ou encore Notre-Dame du Chemin, comptait 43 familles pour un total de 230 personnes en 1953. Mais le projet a été abandonné cinq ans plus tard, l’école vendue et les maisons dispersées. La colonie a laissé peu de traces, mais il est toutefois possible d’observer sur les vues aériennes la percée des rangs dans la forêt et quelques friches qui témoignent de l’existence des anciennes fermes. Certaines cartes montrent la position d’une douzaine d’établissements dans les rangs 5, 6 et 7, la majorité étant situés dans la partie ouest du canton Castagnier, au nord du lac Obalski. 8

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Territoire approximatif de la colonie Dollard-des-Ormeaux où des chemins ont été tracés. Seulement la partie sud (rangs 5, 6 et 7) aurait été colonisée. Les cercles rouges indiquent l’emplacement des ponts mentionnés dans le texte. Carte du shéma cadastral du Québec 1981, 32C et 32D. BAnQ.

La colonie Dollard-des-Ormeaux avait aussi un débouché à l’est, du côté de Lac-Castagnier. À partir de la jonction de ces deux routes, l’une passant par le canton Béarn, l’autre par le canton Castagnier, une route d’hiver longue de 145 kilomètres a été tracée en décembre 1959 pour acheminer le matériel lourd servant à construire l’établissement minier de Matagami. Cette route a été rendue carossable en toute saison à la fin de 1960 et le pont couvert a été remplacé par une structure en béton-acier en 1962. Il était connu sous le nom de « Millage-19 » en raison de sa distance par rapport à Amos. 9

L’éphémère Dollard-des-Ormeaux a sombré peu à peu dans l’oubli, mais son territoire déserté est demeuré à l’intérieur de la municipalité Saint-Dominique-du-Rosaire.

Gaétan Forest, octobre 2016.

Références :

1- Les missionnaires-colonisateurs en Abitibi (1929-1939.), Frédéric Lemieux, 2000. Thèse de maîtrise. Collection Lettres et Sciences humaines, Mémoires. Université de Sherbrooke ; site web municipalité Saint-Dominique-du-Rosaire ; dans le canton Béarn, seul le rang 1 avait été ouvert à la colonisation durant le mandat de l’abbé Caron. La famille Arthur Lavoie s‘est établie dans ce rang en 1927.

2- Idem ; La Gazette du Nord, 24 septembre 1937.

3- Biographie de Michel Chartrand, Fernand Foisy, Classiques, site web UQAC.ca.

4- Projet de coopérative de colonisation, 1941. Document textuel BAnQ Rouyn Noranda, P73,S1,D7 ; plan d’arpentage Canton de Béarn, comté d’Abitibi, Paul Savard, 1942. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1, PB.43D ; plan d’arpentage Canton de Castagnier, comté d’Abitibi, J.-Aimé Fleury, 1942. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1, PC.69B ; le lotissement primitif du canton Béarn ayant été réalisé en 1919 par Édouard De la Chevrotière, et celui de Castagnier par Arthur Lepage en 1922 : il s’agissait donc en 1942 d’une mise à jour des bornes.

5- Avant la création du diocèse d’Amos (1938), le chef-lieu du diocèse était à Haileybury en Ontario.

6- Médard Boucher (1870-1940), un constructeur de ponts réputé en Abitibi, était le grand-père de la comédienne Andrée Boucher ; La Gazette du Nord, 29 mars 1940 ; ce pont portera le nom Lanthier en l’honneur de l’abbé Raoul Lanthier, prêtre-colon de Saint-Dominique.

7- Plan d’arpentage Canton de Béarn, comté d’Abitibi, Paul Savard, 1942. BAnQ E21,S555,SS1,SSS1, PB.43D.

8- Site web municipalité Saint-Dominique-du-Rosaire ; vues aériennes Google Maps ; carte Unité de gestion de forêt privée 814 Amos partie nord-est et nord-ouest, ministère des Terres et Forêts (MTF), 1978.

9- Histoire de la Ville de Matagami (50e), présentation vidéo 2013 ; cette route, qui porta le numéro 61, devint l’actuelle 109.

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